Simon CHABROL, 32 ans

Écriture et recherche indépendante (FR/EN)

Technicien de support IT

Titre original – Some deep thoughts on Threads (1984)

Ce qu’il nous faut dire sur Threads.

Il s’agit du troisième et dernier essai d’une sorte de trilogie :


  1. Sur l’effondrement, l’action humaine et l’échec politique
  2. Sur la transformation agricole
  3. L’Est de l’Angleterre : un choix inévitable
  4. La seule voie : la continuité
  5. Sur la dignité humaine
  6. La résilience contre toute attente
  7. Conclusion et vision personnelle
  8. Sources

Nous pouvons débattre pendant des décennies, voire des siècles, de ce qui est possible (ou non) dans un monde post-guerre nucléaire ou après une catastrophe. Il n’en demeure pas moins qu’à force d’un examen attentif, l’ensemble du film ne peut qu’être transformé. 

Rien n’était inévitable. Rien n’était impossible non plus. Mais beaucoup de choses étaient nécessaires. Plusieurs réalités comptent d’un point de vue agricole et historique. 

Sur l’effondrement, l’action humaine et l’échec politique

Premièrement, les sociétés ne disparaissent pas même après de graves perturbations : elles se transforment par des fusions, de nouvelles organisations, des communautés, des migrations, etc.… Cette réalité s’applique partout : Union soviétique, Empire romain, Sumer…

Après une analyse minutieuse, l’effondrement de la gouvernance dans le film Threads n’a pas eu à voir avec de simples contraintes de ressources, l’hiver nucléaire et même les bombes atomiques; mais uniquement avec de mauvais choix politiques : «Ni le film, ni mon essai précédent, ne répondent à la question suivante : quelle aurait pu être la justification du programme de « travail-contre-nourriture » ? Quelques réponses sont possibles. Le fait est que l’ampleur réelle des destructions a probablement été sous-estimée par le plan de contingence. Lorsque les autorités ont découvert, dans les jours qui ont suivi l’attaque, l’ampleur de la situation, les choix étaient extrêmement limités, car la mise en œuvre d’un système de rationnement classique était difficile. Un système de rationnement classique aurait nécessité la distribution, avant l’attaque, de cartes/livres de rationnement aux personnes. Quelque chose qui n’a pas été fait. Est-ce que cela aurait pu encore être organisé dans le contexte ? De mon point de vue, oui, même si c’était difficile. Le fait est que la mise en œuvre du programme de « travail-contre-nourriture » a probablement été décidée non pas en raison de contraintes logistiques ou idéologiques, mais parce que les autorités (malheureusement, comme dans de nombreux cas historiques lors de graves perturbations) étaient plus soucieuses de maintenir l’ordre et les gens sous contrôle, et parce qu’elles pensaient que c’était la meilleure solution pour maintenir les systèmes économiques, agricoles et sociétaux d’avant-guerre. Les autorités étaient en fait réticentes à admettre que la meilleure solution était de s’adapter aux réalités de l’après-guerre nucléaire, et non de faire correspondre ces réalités aux attentes d’avant-guerre. Quelque chose d’impossible, car tous les systèmes du passé dépendaient de ressources en cours d’épuisement (comme l’essence) ou d’infrastructures détruites. Le meilleur exemple est l’utilisation de carburant pour maintenir une agriculture hautement mécanisée, alors que les autorités auraient dû aller le plus rapidement possible vers des systèmes plus résilients et plus durables. »

Le programme de « travail-contre-nourriture » n’est pas une invention. Le concept est introduit par le film lui-même au début de la reconstruction. Voix du narrateur : « L’argent n’a plus de sens depuis l’attaque. La seule monnaie viable est la nourriture, donnée en récompense du travail ou retenue en guise de punition. Dans la sombre situation économique qui a suivi, il y a deux dures réalités. Un survivant qui peut travailler reçoit plus de nourriture qu’un autre qui ne le peut pas, et plus il y a de morts, plus il reste de nourriture pour les autres.« . La façon dont tout est décrit est typique de la réalité alternative du film Threads : ne pas appeler un chat un chat, le présenter comme inévitable, présenter ce fait comme s’il était sans conséquence sur le contrat social, absoudre les autorités et ne jamais développer ses implications pendant l’effondrement l’année après l’attaque. La manière typique de fonctionner le film : ne jamais explorer ses propres prémisses du début à la fin. 

Surtout quand ces informations fournissent le « ciment » pour comprendre l’effondrement de la gouvernance. Dans un système équitable, moins de ressources auraient pu être partagées/mises à jour (comme la ration alimentaire). Dans un système transactionnel où les gens sont des concurrents, c’est impossible. J’ai utilisé cette formule dans un ouvrage précédent : « Il était bien entendu impossible de mettre de la nourriture dans les magasins pour que les gens puissent l’acheter, mais un système de rationnement « classique » aurait pu être une meilleure solution. Tout le monde reçoit de la nourriture, même en très petites quantités (surtout les plus faibles comme les nouveau-nés, les enfants, les personnes âgées…) et ceux qui travaillent peuvent recevoir un supplément. Le contrat social aurait pu survivre, car avec un système de rationnement, la nourriture sera toujours un moyen de survivre et non une fin. Mais avec l’imposition du travail forcé, le contrat social a disparu. Lorsque quelque chose d’aussi fondamental que la survie est lié au travail forcé, nous ouvrons la porte sur l’inconnu. Le mécanisme introduit par le narrateur s’apparente clairement à un système coercitif et transactionnel. Dans un tel environnement, il n’y a pas de place pour la coopération, car la nouvelle économie consiste à donner davantage de nourriture aux survivants lorsque davantage de personnes meurent. La « richesse » des survivants est désormais liée à la mort de leurs proches. La confiance s’érode et crée inévitablement un antagonisme entre les gens eux-mêmes et entre les gens et les autorités. Ce système peut fonctionner tant que les autorités sont capables de fournir de la nourriture ou d’utiliser des moyens violents, mais lorsque la nourriture vient à manquer, tout s’effondre. ». Alors que les récoltes réalisées en 1984 auraient probablement pu nourrir tout le monde même si elles avaient diminué, c’était le « nouveau contrat social » qui ne pouvait pas être actualisé. Et dans un contexte d’érosion complet de la cohésion sociale totale et de la confiance entre les citoyens eux-mêmes et les autorités, la disparition de toute gouvernance centralisée était la seule issue possible.

La meilleure preuve de l’existence même du programme de « travail-contre-nourriture » est le film lui-même. Il montre à l’écran quelque chose qui n’a rien à voir avec l’idéologie mais les conséquences inévitables d’un système où les gens sont des unités productives interchangeables. Pendant la récolte entre Septembre et Décembre 1984 dans le film, des gens meurent dans les champs (personne ne se soucie de les aider), travaillant à mains nues et avec certains véhicules et sous garde militaire. Ruth, qui était enceinte, a été forcée de travailler dans les champs et s’est effondrée, abandonnée de tous, et a accouché seule. Un témoignage d’un système axé sur de simples stratégies de survie et des objectifs productifs, où toutes les composantes de la solidarité et de la dignité humaines fondamentales ont disparu. Un système qui reçoit la bénédiction des cinéastes, et présenté comme le choix unique (et rationnel) face à l’adversité.

La scène suivante décrit typiquement ce qui est expliqué ci-dessus (mais non articulé dans le film) : « La scène de Threads commence par un télex indiquant que nous sommes 10 mois après l’attaque. La scène commence avec plusieurs gros plans sur des stocks de blé et un soldat à l’intérieur d’une grange surveillant la récolte, puis vous entendez des coups de feu, Ruth et d’autres personnes s’enfuient avec des céréales, vous pouvez entendre un soldat depuis un hélicoptère demander aux gens de revenir et tirer, puis vous voyez Ruth pleurer et essayer désespérément d’écraser des céréales pour nourrir son bébé. ». La situation n’a rien à voir avec la pénurie (la nourriture est là), mais avec l’effondrement évident de tout le système de distribution/transformation en raison de l’effondrement de la gouvernance pour maintenir à flot le système de distribution alimentaire. Sans cette information, cette scène et l’effondrement au cours de la première année après l’attaque n’ont aucun sens.

Sur la transformation agricole

Deuxièmement, un système agricole est nécessaire quels que soient les outils disponibles. La question n’est plus de savoir ce qui est le plus efficace, mais ce qui est disponible. Un système agricole ou rien. La houe ou la famine. Un sujet jamais évoqué par le film lui-même, alors qu’il s’agit d’un point crucial.

D’où la nécessité de discuter des cultures les plus judicieuses. Et où elles sont disponibles (ou non). On ne peut pas immédiatement adapter au travail manuel des décennies – voir un siècle – de culture céréalièree conçue pour l’agriculture mécanisée. Au contraire, les cultures de racines/tubercules sont les meilleurs atouts pour obtenir de la nourriture rapidement, en quantité et par le travail manuel, tout en travaillant régulièrement sur d’autres cultures. Toutes ces informations font que le processus ne peut jamais être linéaire ni universel : d’où les inégalités géographiques. Certaines régions sont adaptées à ces cultures, d’autres non. Tous ces points sont abordés ouvertement et franchement dans tous mes ouvrages : géographie agricole, éventuelle contamination des sols, efforts de remédiation…

Dernière scène avant le saut des 10 ans. Résilience et adaptation en cours. L’exigence des scènes de fin du film. Des gens travaillant ensemble avec des outils simples pour labourer le sol. Le paradigme « houe ou famine ». Malheureusement pour nous et pour les gens à l’écran, la scène semble se dérouler dans le paysage pastoral du parc national de Peak District. Le pire endroit pour faire ça : le sol n’est pas fertile et rocailleux. Cela aurait été bien plus heureux pour eux (et pour moi) si une telle scène se produisait plus à l’est. Mais bon, les choses sont en marche 🙂

En bref : «Il n’en demeure pas moins que, d’un point de vue purement agricole, tenter de maintenir une production céréalière en monoculture sur de vastes superficies n’est pas réaliste sans mécanisation dans un tel contexte; partout où vivaient les survivants au Royaume-Uni.»

De manière plus longue : «La reprise agricole s’est produite plus probablement dans les zones de production de racines/tubercules/légumineuses/légumineuses : elles sont relativement faciles à cultiver, à produire, à stocker, riches en calories et bonnes pour les besoins nutritionnels, et constituent le meilleur choix pour une production alimentaire rapide (même avec des efforts minimes, on peut s’attendre à des rendements confortables), le rebond de la production de céréales ayant nécessairement pris du temps face aux nombreux enjeux (remise en route de la traction animale, manque de véhicules…). Les céréales sont bien sûr importantes, mais la production de rendements élevés dans un paysage agricole fragmenté avec une agriculture moins mécanisée est peu plausible à court terme. Les céréales nécessitent beaucoup de connaissances, de coordination, de travail et de transformation non garanties dans notre contexte. Ce qui est plus logique, c’est de donner la priorité dès le début aux cultures « rentables » (des rendements élevés avec moins d’outils) et de re-développer progressivement les rendements céréaliers.»

Mais en évaluant simplement la plausibilité des scènes finales à l’aide de cartes agricoles et charbonnières du Royaume-Uni, nous avons fourni le ciment nécessaire à leur existence : la nourriture et le charbon. Sinon, le film est irréaliste, contrairement à ce que prétendaient les cinéastes. Mais nous avons également démantelé le récit de famine/extinction des scènes finales. Tout le monde sait que même le plus petit et le plus inefficace champ de pommes de terre, de navets et de carottes peut nourrir une famille entière et même plus pendant un an. Et la nourriture est la base de toute activité organisée non liée à la survie immédiate. Quels que soient le nombre exact d’hectares et le volume produit (et quel que soit l’impact exact de l’hiver nucléaire décrit dans le film, celui-ci affectant tous les produits agricoles), et même si le processus de reconstruction agricole a duré une décennie et a été inégal : le fait qu’il aurait logiquement pu exister (et devrait exister pour les scènes finales) en se concentrant d’abord sur les calories « peu complexes » (racines/tubercules/légumes) tout en augmentant progressivement les rendements céréaliers réfute le message principal du film et son récit d’une régression sans fin. Parce que ce dont nous discutons relève du bon sens compte tenu des contraintes montrées dans le film. Et le bon sens : c’est déjà l’adaptation et la capacité à raisonner. Les premiers germes de la résilience : les gens ayant à nouveau une capacité à agir. Le contraire d’être passif et impuissant. Les scènes finales ne sont plus simplement plausibles aujourd’hui, elles sont le résultat inévitable de la géographie appliquée. Chose illustrée par cette carte dans précédente partie sur le saut narratif : 


La carte pour identifier la localisation des zones probables pour les scènes de la fin du film. Les triangles représentent les zones minières. Les cercles jaunes les zones agricoles. En pointillé au centre, le possible « État-fragmentaire » nécessaire pour coordonner les activités visibles à la fin du film.

Les trois régions autour d’Edimbourg, à l’Est de l’Angleterre et au Nord de Newport sont les mieux adaptées. C’est là que le Royaume-Uni a toujours produit des céréales, et surtout des racines et tubercules. Ces trois régions étant proches des mines de charbon. L’Est de l’Angleterre semble le plus logique malgré les défis liés à la potentielle contamination des pour plusieurs raisons expliquées dans mon précédent post : «La valeur critique de ces terres agricoles de l’Est de l’Angleterre (le « grenier » du Royaume-Uni, presque « l’or » pour les autorités centrales puis les survivants) aurait pu conduire à court terme à une grande concentration de personnes, de nourriture, de semences, de militaires et de fonctionnaires pour la gestion des récoltes organisées par les autorités centrales en 1984. Les efforts, quels que soient les niveaux et les schémas exacts de contamination, pour nettoyer et améliorer les terres n’étaient pas seulement une nécessité mais une question de vie ou de mort étant donné la valeur agricole de ces terres. terres. Même si minime compte tenu des contraintes (rationnement du carburant, exode des villes…). Pour le gouvernement britannique et les RSG, sacrifier les meilleures terres pour leurs récoltes désespérées entre Septembre et Décembre 1984 et pour les projets agricoles probablement projetés aurait été un non-sens total malgré les énormes défis possibles. Des efforts similaires ont probablement été déployés dans la région agricole identifiée en Écosse. Peut-être aussi dans le sud de l’Angleterre, même si c’est moins important. En fonction du niveau de rayonnement, la qualité du sol aurait pu s’améliorer naturellement au cours de la décennie. Le fait est également que les efforts antérieurs sous la direction des autorités centrales auraient pu être poursuivis compte tenu de la plus grande présence de survivants des institutions du passé (militaires, fonctionnaires, agriculteurs…) et de personnes (soit d’anciens habitants, soit de citadins) : nettoyage des sols, sélection des cultures, amélioration de la transformation des aliments… Toutes ces choses ne nécessitent pas de planification centrale mais de la résilience institutionnelle. »

Pour le dire avec humour : c’est un peu comme si les cinéastes décidaient de ne montrer que le pire endroit où re-développer un système agricole (l’Ouest de l’Angleterre, notamment la région de Buxton); alors qu’en tournant légèrement la caméra vers l’Est, on aurait pu voir un autre résultat (difficile, mais sans doute beaucoup plus plausible). Une comparaison intéressante entre deux paysages agricoles, Bakewell (Derbyshire; pâturages, sol peu fertile et petits champs clos) et Billinghay (Lincolnshire; sols plats, fertiles et ouverts), distants de seulement 100 kilomètres. 

L’Est de l’Angleterre était donc clairement la région la plus adaptée à la récolte de céréales fictive, le cadre le plus évident pour la reconstruction agricole nécessaire pour les scènes finales (quels que soient les défis possibles) et le cadre le plus logique pour les scènes finales; même avec un paysage agricole différent et fragmenté. Vous vous souvenez de la grange de Jane à la fin du film ? 

La grange est située à cette position : 53.248074, -1.552125 (Clodhall Ln, Chesterfield, Angleterre). A la frontière entre le parc national du Peak District et les basses terres agricoles de l’Est. Le « grenier » du Royaume-Uni. La personne la moins capable selon le film allait-elle dans la bonne direction après tout ? Le mystère demeure 🙂

Ce problème de localisation des scènes – et donc de l’incohérence agricole du film – est démontrée par le croisement de cette carte des sols britanniques de 1985 et la localisation approximative des scènes après l’attaque et 10 ans plus tard (soit les territoires les moins aptes du Royaume-Uni) :

Source pour la carte des sols : Ministry of Agriculture, Fisheries and Food Welsh Office Agriculture Department; 1985

Et plus important encore, c’est le film lui-même qui se crée une contrainte d’un système agricole viable. Le film lui-même mentionne en effet l’existence d’une population dix ans plus tard entre 4 et 10 millions d’habitants.  Par ailleurs, le Royaume-Uni n’existe pas au Moyen-Age et les premières statistiques unifiées (démographiques/agricoles) datent principalement de 1801. Ce fait implique plusieurs choses obligatoires décrites longuement dans les précédents essais. 

Le film ne peut donc pas faire l’impasse sur la configuration du Royaume-Uni et l’impossibilité d’une agriculture de subsistance primitive du fait du niveau de population revendiqué. Notamment pour les rendements agricoles : 

Les rendements estimés pour le blé et l’orge [un minimum probable de 1 tonne par hectare] correspondent historiquement aux taux pour l’Angleterre seule – hors Royaume-Uni – entre 1700-1800, quand la population était entre 5 et 10 millions d’habitants. En dessous (0,4 à 0,7 tonnes par hectare) la population correspondante sera plutôt située entre 2-4 millions de personnes.

Le réalisme impose en particulier d’utiliser des terres déjà arables et également d’avoir des animaux de traction pour le labour. Comme expliqué longuement : 

“Ce dernier point nous oblige à discuter de la viabilité de l’agriculture de subsistance basique au Royaume-Uni (au sens où nous l’entendons aujourd’hui). Elle ne nous paraît pas viable pour des raisons d’ordre géographique et physique mentionnées plus haut avec les cartes : la configuration du pays limite un développement agricole diversifié dans de nombreuses régions du pays, une nécessité dans un contexte où les survivants vont avoir besoin d’exploiter au maximum le levier agricole pour repartir de l’avant.

Le Royaume-Uni dans les années 1980 n’était pas aussi agricole que par le passé : spécialisation régionale, relative faiblesse de la main d’œuvre et faible poids dans l’économie. Le paysage agricole moderne n’a rien à voir avec celui du passé. Si par le passé on en faisait partout pour des raisons évidentes, comme avec les runrig Ecossais, ce n’était plus le cas dans les années 1980 (et même aujourd’hui). Pour y arriver, il faudrait déplacer outils, bêtes et semences dans des régions inadaptées ou inexploitées depuis longtemps, ce qui serait un non sens. Il faudrait même déplacer de la terre voir construire des nouveaux systèmes d’irrigation dans des régions peu voire pas agricoles, une contrainte impensable dans notre contexte. On va devoir exploiter les terres agricoles telles qu’elles se présentent : là où elles sont fertiles, là où sont les cultures, les outils, les compétences et le bétail.

Il y a également confusion, nous semble-t-il, entre une agriculture à forte intensité de main d’œuvre (notre cas ici) et l’agriculture de subsistance. Pendant des siècles en Europe, l’agriculture était peu mécanisée mais avait dépassé le stade de la subsistance. L’agriculture de subsistance est parfaitement adaptée dans des contextes agraires où le modèle est historique (voir culturel), mais comme son nom l’indique il s’agit de subsister : tout le monde se contente du fruit de son propre champ. Le chiffre de 4 à 10 million de personnes sur le sol Britannique, les contraintes physiques du territoire et la présence d’activités non-agricoles à l’écran nous obligent à penser un modèle à forte intensité de main d’œuvre.”

L’Est de l’Angleterre : un choix inévitable

La valeur critique de ces terres agricoles de l’Est de l’Angleterre (le « grenier » du Royaume-Uni, presque « l’or » pour les autorités centrales puis les survivants) aurait pu conduire à court terme à une grande concentration de personnes, de nourriture, de semences, de militaires et de fonctionnaires pour la gestion des récoltes organisées par les autorités centrales en 1984. Les efforts, quels que soient les niveaux et les schémas exacts de contamination, pour nettoyer et améliorer les terres n’étaient pas seulement une nécessité mais une question de vie ou de mort étant donné la valeur agricole de ces terres. terres. Même si minime compte tenu des contraintes (rationnement du carburant, exode des villes…). Pour le gouvernement britannique et les RSG, sacrifier les meilleures terres pour leurs récoltes désespérées entre Septembre et Décembre 1984 et pour les projets agricoles probablement projetés aurait été un non-sens total malgré les énormes défis possibles. Des efforts similaires ont probablement été déployés dans la région agricole identifiée en Écosse. Peut-être aussi dans le sud de l’Angleterre, même si moins importante. En fonction du niveau de radiation, la qualité du sol aurait pu s’améliorer naturellement au cours de la décennie. Le fait est également que les efforts antérieurs sous la direction des autorités centrales auraient pu être poursuivis compte tenu de la plus grande présence de survivants des institutions du passé (militaires, fonctionnaires, agriculteurs…) et de personnes (soit d’anciens habitants, soit de citadins) : nettoyage des sols, sélection des cultures, amélioration de la transformation des aliments… Toutes ces choses ne nécessitent pas de planification centrale mais de la résilience institutionnelle. 

Il n’en reste pas moins que la région agricole de l’Est est irremplaçable compte tenu de la géographie britannique. Que cette région a dû être priorisée naturellement. Que c’est donc dans ces régions qu’à pu se concentrer un grand nombre d’acteurs critiques : militaires, fonctionnaires, agriculteurs, survivants, experts agricoles… Le film dépeint un effondrement 10 à 12 mois après l’attaque (famine, violence militaire, dé-mécanisation…) mais des signes clairs de réorganisation une décennie plus tard avec la combinaison obligatoire de l’agriculture (une obligation pour des activités non-agricoles) et du charbon (un pré-requis pour l’électricité). Le schéma qui émerge de ces réalités narratives, agricoles, logistiques, sociétales et organisationnelles jamais articulées (ni comprises) dans le film c’est que : 

  1. Un effort humain, agricole et matériel considérable dans l’Est de l’Angleterre la première année, notamment lors de la récolte en 1984
  2. Un avantage et une densité humaine/organisationnelle/agricole incomparable permettant de traverser la période difficile entre Mars-Mai 1985 et d’aller de l’avant; même avec le passage à une agriculture plus manuelle
  3. Une reconstruction d’un système agricole cohérent et adapté sur une décennie, permettant ensuite de remettre en route des infrastructures et une extraction du charbon à échelle industrielle permettant l’émergence des infrastructures visibles à la fin du film

Par souci de transparence, voici un schéma simplifié des possibles bombardements à travers le Royaume-Uni dans Threads le jour du 26 mai (avec des cibles civiles, militaires et des zones agricoles potentiellement touchées; quelque chose qui n’a jamais été discuté ou montré dans le film lui-même et pourtant crucial) :

Bien que potentiellement gravement touché, un fait simple demeure concernant l’Est de l’Angleterre (et peut-être aussi la zone agricole d’Écosse près d’Edimbourg), comme l’explique la carte ci-dessus : les préoccupations liées aux radiations ne l’emporterait pas sur la préservation de la capacité agricole de l’Est de l’Angleterre, car elles constituent une priorité absolue en matière de sécurité nationale. Et pour plusieurs raisons impérieuses :

  • La région agricole de l’Est de l’Angleterre représente une capacité nationale de production alimentaire irremplaçable
  • Les autorités donneraient la priorité à ces zones précisément en raison des risques de contamination, et non malgré eux
  • Le cas de la Biélorussie démontre qu’un pays touché par les radiations ne peut pas se débarrasser de toutes ses terres agricoles (ce qui pourrait être pire que les radiations).

Même si je n’ai aucune information sur ce qui aurait pu être exactement les objectifs des autorités britanniques concernant cette région dans un cas réel (et quels produits auraient pu être sauvés ou non), je ne pense pas qu’elles auraient abandonné l’Est de l’Angleterre. Parce que :

  • La famine a un risque de mortalité de 100 %
  • Les radiations constituent davantage un risque pour la santé à long terme
  • Le « grenier » du Royaume-Uni ne peut être ni remplacé ni déplacé
  • Des méthodes techniques de remédiation existent
  • A titre d’information historique : le sujet est discuté dans le film The Day After (1983), où vers la fin du film, on voit des représentants gouvernementaux avec des agriculteurs en vue de sélectionner des cultures et abraser une partie du sol si nécessaire – au delà des difficultés que cela peut poser bien entendu, cela n’en reste pas moins possible
  • La production alimentaire est la base de tout effort de relance

Et enfin, le film lui-même nous a montré que le gouvernement fictif était prêt à pousser toutes ses forces restantes dans l’agriculture dans la dernière émission entendue dans le film : «Si nous voulons survivre à ces premiers mois difficiles et établir une base solide pour le redéveloppement de notre pays, nous devons alors concentrer toutes nos énergies sur la production agricole.» (émissions du Wartime Broadcasting Service). Et dans le contexte des îles britanniques : cela ne peut impliquer autre chose que le « grenier » du Royaume-Uni ou l’Est de l’Angleterre au sens large. Le simple fait que dans le film la scène de récolte représente une moissonneuse-batteuse et des céréales indique clairement que les autorités déploient beaucoup d’efforts dans ces domaines et dans des régions spécifiques (même si cela n’est pas articulé ou compris par le film). Et plus important encore, leur programme « travail-contre-nourriture » nécessite des produits agricoles. La cohérence interne du film veut donc que des efforts agricoles et organisationnels massifs soient orientés vers ces régions.

La scène de la récolte impliquant une moissonneuse-batteuse, et donc des céréales, doit donc se dérouler logiquement dans l’Est du Royaume-Uni. Voici une carte qui présente où ont majoritairement lieues les cultures de céréales (blé à gauche – “wheat” – et et orge à droite – “barley”) au Royaume-Uni (cartes du Agriculture and Horticulture Development Board) :

La scène pourrait donc impliquer logiquement une migration de Ruth depuis Buxton en direction de l’Est du pays, la région de Buxton étant uniquement dédiée aux pâturages.

Le « pourquoi » cette zone est clairement importante pour comprendre ce qui aurait pu se produire de manière réaliste dans les scènes ultérieures du film : le re-développement d’une zone agricole critique sur une décennie. Parce que c’est là que la nourriture est cultivée au Royaume-Uni et qu’elle le sera à l’avenir, même si des défis existent. Si rien n’était fait dans l’univers du film concernant l’Est de l’Angleterre : il n’y aurait pas les scènes de fin du film.

La seule voie : la continuité

Troisièmement, le fait est qu’un avenir est inévitable, quelle que soit l’ampleur de la catastrophe. Mis à part peut-être le Déluge biblique que j’ai exploré au cours de mes études bibliques, le fait est que même après un grave effondrement démographique/sociétal/agricole, la vie continue inévitablement. Il est inévitable que les gens re-construisent d’une manière ou d’une autre.

Mais à ce stade, le fait est que nous ne parlons plus du film. Toutes ces discussions/essais n’ont rien à voir avec la réalisation ou non des scènes de fin du film. Nous avons largement dépassé le cadre du film. Le fait est que Threads ne peut plus susciter de peurs une fois que vous comprenez ce que signifie tout ce qui est affiché à l’écran à chaque étape du film. Quand on sait que beaucoup de choses étaient évitables. Quand on sait que plusieurs chemins existent et sont disponibles. Le passage nécessaire d’une consommation passive à une compréhension lucide. Après un examen attentif, la seule conclusion est que Threads n’est plus une représentation définitive sur la guerre nucléaire, mais à peine plus qu’une simple porte pour une exploration plus approfondie de plusieurs sujets.

Tous les problèmes tournent autour de la formulation problématique de l’échec politique comme étant inévitable au cours de l’année qui a suivi l’attaque, et du déni (contre toute attente et même au détriment de la logique) du processus d’adaptation inévitable requis pour les scènes finales. L’effet pervers du film est qu’il tente de présenter la résilience/adaptation requise comme une régression, et l’échec de l’adaptation comme un progrès. La logique cinématographique et les intentions philosophiques du film sont sérieusement problématiques d’un point de vue éthique et moral. Exemples :

  • Forcer une femme enceinte à travailler aux champs et l’abandonner une fois épuisée lors de la récolte en 1984 : normal dans une société qui fonctionne ?
  • Enseigner aux enfants les bases de l’anglais une décennie plus tard, avec les efforts collectifs évidents requis après l’effondrement : dégoûtant ?

Je suis perplexe que personne n’ait remis en question la logique interne du film et ses hypothèses contraires à l’éthique depuis des décennies. Pour le contexte : je ne suis même pas anglais mais français. Le film n’est jamais sorti en France. Je suis donc la dernière personne qui aurait dû regarder le film et y consacrer beaucoup de travail pour comprendre/décrypter sa logique interne et ses hypothèses.

Je suis également perplexe de voir à quel point certains fans du film Threads (mais également des institutions ayant célébré le réalisme du film sans se questionner sur sa cohérence interne) ont tendance à s’accrocher à la représentation problématique des perturbations sociétales/agricoles dans le film en appliquant ce genre de raisonnement lorsqu’ils sont confrontés à des preuves contraires : « vous avez exposé une contradiction inhérente au film, cela signifie donc que le film n’était pas assez dur, alors qu’il était censé être la représentation la plus sans faille de la guerre nucléaire ». Mais c’est tout. La contradiction dans le récit du film est évidente, et la seule solution pour la résoudre est de reconnaître que le film raconte la mauvaise histoire. Une histoire de dégradation et de déclin terminal inévitables, alors que tout à l’écran parle d’échec institutionnel puis de résilience.

Le fait est que de nombreux scénarios peuvent parfaitement expliquer le récit du film (famine 10 à 12 mois après l’attaque, reconstruction une décennie plus tard) si nous l’étudions comme un sujet digne d’une rigueur analytique. Mais tous ces scénarios vont aller dans le même sens : agriculture de subsistance, adaptation agricole, sélection des cultures, géographie (besoin à la fois de terres agricoles, de cultures spécifiques et du charbon), émergence progressive de gouvernances (communautés agricoles ou organisations plus larges comme « l’ État-fragmentaire »), transfert de connaissances, stabilité alimentaire, reconstruction du tissu social…

Sinon, les scènes finales sont métaphoriques et absurdes, et donc le film. C’est la raison pour laquelle le film doit être analysé avec nos connaissances actuelles sur l’agriculture, la société et la gouvernance. Pas le contraire. Surtout quand le film détient le titre de plus « réaliste » jamais réalisé. C’est parfaitement notre droit de remettre en question les hypothèses de ce film, surtout lorsqu’elles sont imparfaites, contraires à l’éthique et simplistes. Qu’il s’agisse de l’agriculture, de la dignité humaine, de la résilience, de l’effondrement, de la gouvernance, etc.

Sur la dignité humaine

Pour reprendre une phrase poétique d’un article précédent : «nous ouvrons la porte sur l’inconnu » quand on parle de résilience comme de dégradation et de survivants comme des « épaves humaines » (voir des « débris humains »). Une fois admis ce genre de raisonnement sur une situation ne serait-ce que fictive ou hypothétique (la guerre nucléaire dans notre cas), il n’y a aucun moyen d’empêcher ce genre de raisonnement de s’étendre à d’autres cas de perturbations graves. Et c’est typiquement ce que les cinéastes ont fait avec Threads. Bien que le film soit bloqué dans sa « psychose », et que les réalisateurs montrent envers et contre tout ce qu’ils refusent d’admettre : la société se transforme dans leur propre film.

Extrait d’un post précédent : «La dernière scène de l’année 1 dans Threads montre des gens travaillant dans les champs avec le retour des rayons du soleil après que l’effet de l’hiver nucléaire se soit dilué dans l’atmosphère. Trois choses frappent par rapport aux récoltes de Septembre-Décembre 1984 : les gens travaillent avec des outils, voire des lunettes de protection pour certains mais pas de tracteur. Pas de militaires en vue non plus. Quand on repense à la scène des récoltes en 1984, c’est un autre monde : des gens mourant dans les champs, travaillant à mains nues et avec quelques véhicules et sous surveillance militaire. Je ne dirai pas que les choses vont mieux bien sûr (les gens dans cette dernière scène avant le saut dans le temps sont épuisés), mais cela semble plus paisible d’une certaine manière, comme la scène 10 ans plus tard avant que Ruth ne s’effondre dans les champs. […] Notant qu’avant de mourir, Ruth a été mise dans un lit avec une couverture : quelque chose de très simple en fait, mais aussi le témoignage d’un certain souci pour une personne faible, quelque chose que des personnes désespérées, brutales et insensées n’auraient pas fait. Et en repensant à la scène des récoltes en 1984, quelque chose de plus étonnant étant donné que Ruth, qui était enceinte, a été forcée de travailler dans les champs et s’est effondrée, abandonnée de tous, et a accouché seule. D’un point de vue sociétal, la société semble donc plus « bienveillante » que lorsqu’il y avait une gouvernance centralisée. Cela n’a rien à voir avec une utopie, mais avec le fait que les communautés humaines plus intimes sont généralement plus durables et plus résiliantes dans un monde de pénurie.»

Concernant l’idée de traiter les survivants comme des « épaves humaines », ce que les cinéastes ont fait (ou essayé de faire) avec le personnage de Jane n’est pas acceptable. Une jeune fille travaillant et se coordonnant avec les autres (travailler aux champs, recycler des vêtements dans le cadre d’une activité coordonnée – consignes, collectif, dextérité -, voler de la nourriture, chercher un hôpital…), est présentée comme si son cerveau avait potentiellement « fondu » sous l’effet des radiations. Cela nous pose un problème majeur indépendamment de l’âge du personnage, de son caractère fictif ou non, et de son sexe. C’est toute une façon de concevoir l’humanité d’une personne qui est en cause ici. Un problème dans une œuvre de fiction classique, un fait inacceptable dans un film ayant une caution académique, scientifique et se revendiquant du réalisme.

Le comportement de Jane dans le film résume tout le problème de Threads : raconter le contraire de ce qui est montré à l’écran. C’est assez simple. La concernant : à l’écran, rien n’indique une déficience mentale. 

La scène de l’accouchement à la fin du film a été réalisée dans ce but pervers et douteux : transformer une jeune fille relativement vulnérable (très jeune, ayant perdue sa mère et sans proches, dans un environnement relativement complexe) en preuve de déclin terminal de l’humanité, dans une ville d’avant-guerre dotée d’un hôpital et de l’éclairage public dans certaines rues. Une jeune fille fictive – d’après les images du film lui-même – parfaitement normale, travailleuse et apte, mais silencieuse et discrète, qui ne doit se résumer qu’à une seule chose d’après les réalisateurs (en dépit de toutes les preuves visuelles de leur film) : une non-personne, quelque chose de sans valeur, un débris humain, un utérus inapte. 

Le fait est que la science est contre le film sur ce point :  

  • Premièrement, celle qui n’aurait pas dû accoucher d’un enfant vivant dans le film est Ruth (elle a probablement été irradiée lors du bombardement de Sheffield, le schéma aurait correspondu à notre connaissance des femmes enceintes à Hiroshima après le bombardement de la ville). 
  • Deuxièmement, les femmes sont considérées comme les plus aptes à avoir un enfant entre 20 et 30 ans, et non à 13 ans (l’âge de Jane à la fin du film). 

Mais ce qui compte encore plus que la représentation du personnage dans le film, c’est que tout le monde se sente autorisé à le décrire comme une « épave humaine » : muette, déficiente mentale due aux radiations, symbole du déclin terminal de l’humanité, analphabète, froide… Le fait qu’elle soit un personnage de fiction ne change rien. Alors que nous devrions au moins faire preuve de compassion ou d’empathie envers son personnage, nous ne le faisons pas. Mais l’effet « la guerre nucléaire est mauvaise » permet tout : même le mépris total de la dignité humaine la plus fondamentale, avec une caution académique et médiatique.

Pour conclure sur ce point, ces discussions autour du personnage fictif de Jane n’ont rien à voir avec le sentimentalisme, la pitié ou l’anthropologie. Uniquement avec le besoin de cohérence d’ensemble de la logique interne d’un film célébré pour son réalisme. Le film nous doit une explication, mais vit dans le déni de sa propre réalité. Le personnage de Jane pose probablement le plus de problèmes au film pour les deux raisons chronologiques suivantes : 

  1. Il aurait fallu tout d’abord reconnaître que quelqu’un avait accepté d’ouvrir la porte à Ruth et son bébé dans les mois ayant suivi les scènes de famine entre Mars-Mai 1985, car penser le contraire est une absurdité : une femme seule avec un bébé n’aurait pas pu survivre seule sans être accueilli quelque part dans un tel contexte
  2. Il aurait fallu reconnaître que Jane avait été nourri pendant une décennie, même si les premières années auraient pu être compliquées du fait des contraintes pesant sur le système agricole, ce qui aurait impliqué de parler de la reconstruction agricole évoquée plus haut puisqu’il a fallu dépasser le cadre d’une agriculture de subsistance primitive 

La cause de la schizophrénie du film à l’égard de ce personnage est donc probablement à rechercher du côté de ses incohérences logiques.

Et si nous n’en sommes pas capables à l’égard d’un personnage de fiction sous prétexte que le message politique/idéologique du film dépasse le respect fondamental dû à la personne humaine, je ne crois pas que nous en soyons capable en général. On peut d’ailleurs en dire autant des autres enfants. Ou encore des “invisibles” qui travaillent aux champs, sans qui l’existence même de ces personnes serait impossible.

Et aussi des soldats; restes d’une institution prestigieuse d’une ancienne grande nation. Le film ne le conceptualise pas, mais sans eux, ce que le film montre (école, hôpital, extraction du charbon…) ne serait probablement pas possible d’un point de vue purement organisationnel. Pas que les communautés agraires sont incompétentes, mais ces infrastructures demandent de coordonner des acteurs différents. Quelque chose que seuls des personnes ayant un bagage organisationnel fort pourraient coordonner en l’absence des formes étatiques traditionnelles. Le film en fait des ombres indistinctes et anonymes qui tirent dans la nuit sombre, où des personnes qui entrent sans raison dans un bâtiment de fortune. Une sorte d’enclave survivaliste. La vérité est que des survivalistes brutaux et inintelligents n’organisent pas une école pour les enfants ou même un dispensaire. C’est d’ailleurs probablement grâce à ces personnes (ex soldats ou fonctionnaires…) que de nombreuses personnes ont pu survivre jusqu’en 1994-1997 dans le film.

Cette scène à la fin du film est illustrative de la perversité totale de Threads en matière de dignité humaine. On y voit les soldats entrer dans leur abri de fortune avec lumière et radio, puis Jane intègre le plan à seulement quelques secondes d’intervalles. Le film, dans sa psychose délirante, persiste à penser la survie de ces 4-10 millions d’individus (chiffres du film lui-même) en poches isolées survivalistes n’ayant aucun sens. Tout ce qu’on voit à l’écran ne peut être que le fruit d’un travail collectif et humain. On aurait pu avoir un court dialogue entre Jane et ces soldats (même un simple “Où vas-tu ?”/”Que fais-tu là”; quelque chose qui aurait eu lieu dans la réalité) mais le film persiste dans son délire psychotique.  

« Jane et les soldats » (Photo composite)

Si le traitement imposé au caractère fictif de Jane est le plus problématique, il l’est tout autant pour les autres. En leur niant toute humanité, dignité, résilience, et capacités collectives et individuelles pour promouvoir des objectifs idéologiques douteux – un but qui d’ailleurs se retourne contre le film lui-même lorsque ce dernier est analysé sérieusement – ce sont finalement notre humanité, résilience, dignité, et capacités collectives et individuelles à nous qui sont niées et criminalisées car elles remettent en cause le narratif du film.

Encore plus choquant pour nous est l’atteinte à la dignité des morts. Le film se complait dans son fantasme morbide d’une société n’offrant aucune sépulture – ou au moins une dignité – à ses défunts soit en les enterrant soit en regroupant leurs corps quelque part, exploitant de façon inacceptable des photographies historiques – utilisées hors-contexte – de charniers. Un fantasme inquiétant qui a peu de précédents historiques, et peu de sens également pour des raisons évidentes liées au risque de propagation des maladies et des infections. 

Enfin, pour conclure sur cette section, le film fait une impasse totale sur ce qui se passe dans son propre monde : le Royaume-Uni et sa population sont innocents de toute faute. Le film indique que c’est clairement l’Union Soviétique qui décide de lancer son attaque meurtrière et indiscriminée sur le Royaume-Uni. Le film, célébré pour son réalisme, en tire pourtant la conclusion logique et éthique que tout un pays a commis une faute morale totale en étant victime d’une attaque indiscriminée et extrêmement brutale. Dans la logique du film : 

  • Un pays doit mourir parce qu’il est victime d’une attaque qu’il n’a jamais déclenché
  • Toute reconstruction logique est interprété comme un crime contre l’humanité
  • La faute est héréditaire à travers toute la descendance des survivants

On doit en tirer la conclusion que le film ne semble pas fait pour alerter sur les conséquences d’un conflit nucléaire. Le film est fait pour dire qu’être victime d’un conflit nucléaire (ou de toute autre catastrophe/violences majeures) est une faute morale en soi, dans la mesure où les armes nucléaires sont le tabou social ultime des réalisateurs et consultants du film. Le film considère donc par extension qu’une victime réelle d’un génocide, d’une catastrophe climatique/écologique majeure, d’une famine ou de violences de masse est fautif moralement pour la simple raison que la commission d’un fait inacceptable par un autre abouti à la transmission logique de la faute sur les victimes.

La résilience contre toute attente

Pour conclure sur le cadre nécessaire à la compréhension du film : nous n’avons jamais essayé de rendre le film vrai depuis le début. C’est le film qui doit correspondre à nos connaissances agricoles, historiques, sociétales et démographiques. Threads n’est pas la réalité. C’est Threads qui doit accepter la réalité. Et quand c’est fait, tout le sens en est transformé.

En discutant longuement des exigences des scènes finales du film et de ce qui aurait dû inévitablement se produire pendant le saut narratif : reconstruction agricole, sélection des cultures, reconstruction du tissu social, production de charbon, émergence d’une gouvernance… Nous avons entre-temps remis en question la représentation d’une régression totale dans le film. La société fonctionnelle décrite à la fin du film ne peut exister sans un système agricole fonctionnel, même si le film le présente comme une simple régression. Alors que c’est finalement ce qui aurait sans doute dû être fait depuis le début par les autorités centrales : choisir des modes de production plus résilient. La contradiction narrative inhérente à Threads est totale : vous ne pouvez pas décrire/montrer dans votre propre film une société qui fonctionne (charbon, agriculture, éducation…) et considérer les exigences sous-jacentes permettant l’existence même de ces scènes comme un déclin terminal. 

Le narratif de résilience, ironiquement, est une chose qui découle naturellement et inévitablement du film lui-même. Les gens ont dû manger pendant le saut narratif de 10 ans. Les gens devaient travailler ensemble pour produire de la nourriture, améliorer leurs techniques et finalement produire des surplus. Organiser également un système éducatif de base, une gouvernance et l’extraction du charbon. Une société en déclin et impuissante n’enseigne pas à ses enfants compte tenu de ces contraintes. L’ordre n’émerge de lui-même : c’est une construction. De mon point de vue :

  • Soit j’ai totalement tort et ce que j’ai écrit n’a aucun sens. Tout ce que nous voyons à l’écran est métaphorique. Donc le sens du film. Une esthétique du désespoir. Pas un film réaliste.
  • Soit j’ai raison et ce que j’ai écrit est sensé. Le film dépeint, à contre-courant de son propre récit, la lumière au bout du tunnel. Sans reconnaître ces scènes en tant que telles.

Il n’en reste pas moins que le film Threads, célébré de façon unanime pour son réalisme, ne peut pas avoir les deux :

  • Soit vous êtes réaliste et vous acceptez ce que vous décrivez à l’écran : la lumière au bout du tunnel après une décennie de reprise agricole.
  • Soit le film n’est plus réaliste

Ce que nous voyons à la fin du film pourrait correspondre au résultat de ce qui aurait pu être possiblement réalisé par les personnages à l’écran dans les dernières scènes : une décennie de reconstruction agricole, depuis les produits simples (racines/tubercules/légumes) jusqu’aux céréales, jusqu’au début d’une reprise de production industrielle (charbon, électricité…); quelque chose qui n’aurait pu se produire de manière réaliste qu’avec :

  • Des régions agricoles spécifiques historiquement connues pour leurs produits relativement « faciles » à cultiver et à proximité de gisements de charbon (Est de l’Angleterre, Ecosse…)
  • Des gens ayant ré-appris à travailler et à penser ensemble, mais aussi capables de prendre soin les uns des autres et d’anticiper
  • Un pool requis de spécialistes ayant une expertise passée en matière de gouvernance, de planification et d’organisation (« l’État-fragmentaire » composé d’anciens soldats/fonctionnaires/experts agricoles) pour progressivement coordonner, augmenter la production agricole et mettre en place le cadre requis pour coordonner progressivement les différentes activités sur une vaste zone
  • La reconstruction de la confiance entre les précieux vestiges des autorités passées et les communautés agricoles survivantes; une nécessité d’amplifier progressivement tous les efforts menant aux scènes finales, et le plus difficile pour les fondateurs de « l’État-fragmentaire »
  • La raison pour laquelle les fondateurs de « l’État-fragmentaire » étaient probablement des personnes extrêmement complexes, à la fois dures (pendaisons de pillards, militaristes, tirs à vue si la loi est enfreinte…) et généreuses (hôpital, programme éducatif pour les enfants, probablement les leaders derrière toutes les améliorations agricoles requises, capables de partager des connaissances…); des êtres coincés entre les dures réalités du nouveau monde et leur volonté sincère de faire progresser eux-mêmes et les autres, tout en partageant les difficultés de la population en général (la fameuse scène où les soldats entrent dans une maison de fortune à la fin du film)

Aucune magie n’est en jeu ici. Tout a été écrit en fonction des réalités agricoles et minières du Royaume-Uni. Et aussi agricoles : la transition logique vers des produits agricoles « peu complexes » (que l’on peut produire facilement avec du travail manuel) au début tout en développant les céréales. Le « pourquoi » qui explique que certaines régions étaient mieux adaptées que d’autres. Le « pourquoi » également ces scènes de fin du n’aurait pas pu se produire n’importe où dans ce qui reste du Royaume-Uni. D’où la carte suivante (le chaînon manquant crucial entre un système agricole, la société et la production de charbon nécessaire aux scènes finales) :

La carte tout à gauche montre plusieurs zones possibles pour les scènes de fin du film. Les trois cartes à droite (dans l’ordre tubercules/racines, charbon et blé) montrent l’importance de l’Est de l’Angleterre comme zone agricole et charbonnière

Que cela ait pu être parfaitement vrai (ou non) d’un simple point de vue agricole et sociétal (nous n’avons aucun témoignage dans l’histoire d’un changement aussi radical), ne change rien au fait que cette réalité semble exister dans ce qui est considéré comme le film le plus réaliste de tous les temps sur le sujet. Il n’était pas anticonformiste de remettre en question ses hypothèses. Est-ce plausible ? Si oui, où et comment ? Le fait est que cela n’a probablement jamais été conceptualisé par les cinéastes. Mais ironiquement, la possibilité émerge naturellement du fait de la composition naturelle du paysage agricole et minier du Royaume-Uni.

Les régions agricoles les meilleures et les plus adaptées à la culture de racines/tubercules/légumes sont à l’Est de l’Angleterre (notamment la région de l’Est-Anglie à Hull) et les bassins houillers se côtoient naturellement dans cette partie du pays. Si ce qui était à l’écran aurait dû être vrai, la carte nous dit que cela aurait été non seulement logique, mais inévitable dans l’Est de l’Angleterre. Les individus et la société se reconstruisent avec les ressources disponibles adaptées à leurs outils et capacités. La composition géographique évidente des ressources compte bien plus que les réalités millimétriques dans l’étude du développement géographique et humain. Compte tenu de la géographie, vous avez côte à côte des terres agricoles cruciales et du charbon. C’est tout ce qu’il faut.

Des recherches approfondies sur chaque culture, sur chaque graine, sur chaque centimètre carré, conduiraient à l’absurdité de se conformer à la Royal Agricultural Society of England me demandant de fournir tous les protocoles existants requis pour mon hypothétique analyse agricole post-nucléaire de l’Est-Anglie des années 1990 :

  • Protocoles pour l’extraction et le stockage manuels des graines de carottes pour l’agriculture non mécanisée (Volume 6 et Section 9)
  • Guide des bonnes pratiques d’agriculture à la houe post-nucléaire (Printemps 1995 n°234; communes de Rutland)
  • Inventaire complet des plants de pommes de terre post-nucléaires : Volume 1 (Région de Norfolk)
  • Projections du rendement du navet comté par comté avec tableaux de variance du pH du sol (Annexe A)
  • Historique des cotations des foires aux bestiaux (Comté de Tyne and Wear; période 1989-1992; canards et pintades)
  • Méthodologies de transformation du sucre extrait manuellement dans des conditions primitives (Section 3.b)
  • Lutte manuelle contre les ravageurs des topinambours dans le Sussex post-nucléaire (Volumes 9 et 19)

Quelque chose qui n’était pas de ma responsabilité en premier lieu 🙂

Que cela ait pu prendre une décennie comme dans le film ou plus, comme 20 ou 40 ans, ne change rien. Cela se serait inévitablement produit. Une région agricole est susceptible de le rester, même grâce au remplacement des cultures. De même quant aux bassins houillers : ils ne vont pas changer subitement de place. La géographie du Royaume-Uni est implacable. Et une fois que les deux se rencontrent, le charbon aurait pu brûler.

Comme je le disais plus haut, je crois qu’un délai de 15 ans jusqu’aux scènes finales aurait été plus réaliste, en particulier pour les signes indiquant que le grand réseau électrique était nécessaire dans les villes urbaines d’avant-guerre pour avoir l’éclairage public, quelque chose du passé probablement beaucoup moins essentiel une décennie plus tard pour les survivants, quels qu’ils soient.

Comme je l’ai écrit : «Pour les personnes que nous avons étudiées, la nourriture quotidienne est probablement ce genre de boucle : du pain, des pommes de terre, des navets, des choux, des pommes de terre, des carottes, de la soupe, des pommes de terre, des betteraves, des haricots, des pommes, des petits pois, du pain, de la viande, des pommes de terre, des navets, des rutabagas, des citrouilles… ce n’est pas quelque chose de très drôle et récréatif. Pas de pizza, de sushi, de bananes, de pâtes italiennes ou d’avocats… Mais ce n’est pas ce qui compte. Ce qui compte, c’est que nous soyons capables de nous nourrir correctement, ainsi que les autres, avec ce que nous pouvons avoir et produire. Et une fois que nous sommes suffisamment sûrs de notre capacité à produire à nouveau collectivement, nous pouvons progressivement et lentement passer à d’autres sujets non liés à l’alimentation : une école, un dispensaire, la valorisation de produits textiles, l’extraction de charbon pour une machine à vapeur…»

Ce qui est trompeur, c’est de penser que les survivants dans le contexte du film Threads « gagnent » la guerre nucléaire contre l’Union soviétique s’ils reconstruisent quelque chose de significatif, alors qu’en réalité ils reconstruisent simplement leur monde détruit par des décisions militaires et politiques dans lesquelles ils n’ont pas eu voix au chapitre.

Pour le dire de façon plus philosophique : les morts, même si on leur doit un devoir de mémoire (notamment lors de drames humains massifs), ne doivent jamais préempter les vivants. L’idée que les survivants puissent “danser sur les morts” est une aberration : nous le faisons tous, en ce moment même. Cette réalité s’applique aussi bien au domaine de la fiction que des drames humains bien réels.

En conclusion, et d’un point de vue psychologique, Threads ressemble à un cas pour le moins « déroutant ». Quelqu’un vivant dans sa propre réalité délirante et comprenant probablement à peine son propre monde délirant. Le « pourquoi » on ne devrait surtout pas nous laisser aller à ses hypothèses. Des conséquences du programme de « travail-contre-nourriture » à la nécessaire reprise de l’agriculture une décennie plus tard, la logique interne de Threads est une impasse. Le scénario réaliste est celui d’un effondrement après un échec politique suivi d’une longue transformation, d’une reconstruction de l’agriculture, du tissu social, de la confiance, de la coopération et de la gouvernance. Dans le monde délirant du film Threads, les scènes à 10-12 mois ne sont que des pénuries alimentaires sans importance, le mécanisme du programme de « travail-contre-nourriture » est omis volontairement et la société a régressé à un état primitif une décennie plus tard, réintroduisant toutefois le charbon et l’électricité. C’est pourquoi négocier avec la réalité alternative de Threads est dangereux : cela nous oblige à nier toutes nos connaissances sur la gouvernance, la société, l’histoire humaine et l’agriculture. Threads n’est réaliste que lorsque nous respectons sa vision du monde.

Appelons donc ce qu’est Threads : un abandon de l’intelligence humaine, de la résilience et de l’ingéniosité face à l’adversité pour réaliser un récit incohérent d’extinction totale démenti par ses propres images. Que reste-t-il de Threads et des films de ce genre dont les raisonnements sont malheureusement des impasses intellectuelles et scientifiques ? Le contraire de ce que ces films prétendaient faire : créer un public plus responsable. Il n’y a rien de pire que de voir un film bénéficier d’une caution de réalisme scientifique s’effondrer lorsque l’on confronte sa logique interne à nos connaissances agraires, géographiques, historiques… Le film Threads cesse de fonctionner normalement lorsque l’on quitte le domaine de l’émotion pour penser systèmes, agriculture, gouvernance, société… Et cela est insupportable pour de nombreuses personnes. Les communautés qui gravitent autour de ces films sont souvent inquiétantes : nihilisme, absence totale d’empathie, fantasmes survivalistes… En voici quelques exemples avec un chatbot développé (et fermé depuis) par la communauté entourant le film Threads :

Le personnage le plus vulnérable du film (et ironiquement le plus apte finalement quand on dissocie l’objectif narratif du film et ce que le film nous montre réellement de Jane) présenté dans des postures dégradantes et humiliantes. Un portrait de l’Angleterre délirant qui ne correspond même pas aux images du film (on parle de gens qui vivraient dans des tunnels, ne mangeant pas… le contraire de l’imagerie du film lui-même). Des fantasmes survivalistes incohérents et répugnants. Une impasse intellectuelle comparable (voir égale) à celle du film éponyme.

Dans ce domaine, et pour conclure, les défenseurs de l’abolition des armes nucléaires sont dans la même impasse intellectuelle et morale. Que vous abolissez ou non les armes nucléaires : vous devez mourir au nom de leur idéologie. Pépite :

Deux publications du « Bulletin of the Atomic Scientists« . En haut la promesse d’une mort certaine et définitive en cas de conflit nucléaire : nul part où se cacher pour survivre. En dessous, la nécessité de poursuivre le discours apocalyptique au prix de la logique et de toute dignité même basique: abolir les armes nucléaires devient maintenant la menace ultime à combattre. Les armes nucléaires tuent même quand elles ne sont pas là. Le comble de l’absurdisme. La preuve du non-sens idéologique de ces gens. Tout cela prouve que ces discussions, films et études académiques n’ont absolument pas le but moral prétendu. Ces gens sont si dépendants de la peur qu’ils ne peuvent pas vivre sans elle. Que deviendrait le « Bulletin of the Atomic Scientists » si il n’y avait plus d’armes nucléaires ?

Il y a quelque chose d’ironique dans cette forme de « roue de hamster » intellectuelle développée dans les milieux universitaires sur les grandes catastrophes (guerre nucléaire ou autres) : l’idée finalement très chrétienne d’une forme d’hérédité des fautes de génération en génération sans réelle possibilité de rémission ou de pardon. Un dogme présenté comme infaillible. Une ironie pour un milieu qui se revendique comme largement sécularisé. Le film Threads en est l’illustration parfaite. Le Royaume-Uni a commis une « faute » en étant impliqué dans une guerre nucléaire. Personne ne doit donc être sauvé. Rien n’est possible. La faute doit donc également se perpétuer de générations en générations, de Ruth jusqu’à Jane. Une théologie que n’aurait pas renié Paul de Tarse :

C’est pourquoi, de même que par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort, de même la mort a atteint tous les hommes parce que tous ont péché.

Épître aux Romains 5

Ni certains chrétiens avec le concept de la « prédestination » : l’idée que depuis toujours nous sommes sauvés ou condamnés, indépendamment de ce que nous faisons, croyons ou entreprenons. La culture qui a émergé autour de ce film est un non-sens. Quelles valeurs morales inspirent le film ? Très peu et pas celles espérées par les réalisateurs, surtout lorsque l’on voit l’investissement des cinéphiles dans le morbide. Le film ne délivre plus une leçon de morale comme attendu au départ, le film devient un espace (comme d’autres films dans le style The Road) pour se vautrer dans les bas instincts. Il n’en reste pas grand chose à l’exception du policier avec le visage recouvert par un bandage. Loin des débats profonds sur la place du nucléaire que voulaient créer les réalisateurs et figurants (membres du CND – Campaign for Nuclear Disarmament – pour beaucoup d’entre eux). Florilège : 


Conclusion et vision personnelle

Après toute cette histoire, pourquoi ne pas faire un drapeau ? Ayant visité un champ de pommes de terres, poireaux, carottes ou je ne sais plus quoi de « l’Etat-fragmentaire » quelque part au milieu de ce qui était autrefois l’Angleterre; des gens se sont plaints en disant que cet hiver on serait un peu “short” sur les carottes et les navets. On se serait foutu de notre gueule ? J’avais pourtant vu ça dans un vague film de la BBC sur la guerre nucléaire paru en 1984. J’étais un peu emmerdé. Alors pour calmer tout le monde, je me suis dis : et pourquoi pas une carotte géante au milieu d’un drapeau ? J’ai fait quelques dessins. Des hypothèses. Un peu « light » quand même, non ? On vient d’ouvrir la première chaire universitaire d’agronomie post-nucléaire du monde et on ferait ça ? Essayons de penser un peu plus large : 1/3 pour le charbon, 2/3 pour les champs, trois épis de blé même si on commence seulement à en produire davantage. Pas mal non ? C’est français 🙂

Parce que personne n’est à l’abri des préjugés, et pour être transparent : mon parcours religieux personnel m’a probablement beaucoup influencé dans l’interprétation du film Threads. Je suis issu du Protestantisme avec un intérêt plus récent pour le Judaïsme. Les deux traditions n’accordent aucun intérêt pour les dogmes stériles, le nihilisme et les « grands prêtres apocalyptiques ».

Dans les deux traditions, les principales sources de réflexion sont les Écritures concernant des sujets religieux (« Sola Scriptura » dans le Protestantisme; Talmud et commentaires également dans le Judaïsme). Dans notre contexte, les études de plausibilité et de compréhension des films comme Threads, notre « Sola Scriptura » est composée de cartes agricoles/minières, de connaissances en matière de gouvernance, de modèles historiques de perturbations graves… D’une certaine manière, j’ai traité le film Threads comme une sorte de « texte sacré ». Pour le dire avec un peu d’humour : une sorte de Manuscrit de la Mer Morte post-nucléaire trouvé dans un bunker abandonné d’un ancien RSG.

Le film partage en fait beaucoup de caractéristiques avec la Bible hébraïque, notamment son aspect fragmentaire : presque toutes les scènes sont totalement déconnectées les unes des autres, de nombreux personnages interagissent à peine entre eux, quelque chose est dit à un moment donné mais n’est pas articulé dans tout le récit, il y a de nombreuses intrigues… Une reconstruction s’imposait. Malheureusement pour le film Threads, la logistique (ou plutôt l’intendance) des scènes ne peut pas suivre le narratif imposé sur ces dernières. Les contraintes du film peuvent se résumer à un système d’équations simples :


Le programme de « travail-contre-nourriture » introduit par le film

=

Destruction totale de la cohésion nécessaire à la reconstruction


Les terres les plus arables et fertiles de l’Angleterre proches des mines de charbon

=

Est de l’Angleterre


Une jeune fille née en 1984 lors d’une catastrophe majeure et sans précédent ayant laissé son pays dans un chaos total (pas de gouvernance, des millions de morts, une famine montrée à l’écran, un système agricole en déshérence – pour ne pas dire l’année zéro -, une destruction totale des infrastructures…) est toujours en vie en 1994

=

Une société sous-jacente ayant nécessairement reconstruit son système agricole, ré-appris à vivre en collectivité, disposant de nouvelles formes de gouvernance et ayant fait preuve de résilience


Une évidence pour nous. Pas dans la psyché du film Threads et ses réalisateurs. Malheureusement pour eux. Heureusement pour nous. L’ironie finale pour un film considéré comme l’aboutissement réussi et total du sécularisme; et dont la vision du monde, pour poursuivre des buts idéologiques douteux, est la consécration de l’indignité humaine ? Être moins cohérent que le plus obscur des passages de la Bible Hébraïque face à la plus minime analyse scientifique dont il se revendique depuis 40 ans, et voir son message nihiliste détruit dès que son réalisme est mis en pratique en utilisant ses propres images et sa propre narration. Contre son gré (et parce que c’est un pré-requis pour qu’il soit à minima plausible) Threads démontre la persistance des Hommes face à l’adversité et notre capacité collective à reconstruire; même dans la douleur.

Le Protestantisme comme le Judaïsme mettent l’accent sur la dignité humaine, la vie, le libre arbitre, les efforts collectifs, la clarté éthique même dans un contexte d’effondrement et les activités professionnelles significatives. Les travaux et cycles agricoles aussi, car ils constituent la base de toute société passée et à venir. Travailler avec d’autres personnes dans les champs est en effet une activité pleine de sens, même si difficile dans le contexte du film. Il n’y a pas de quoi avoir honte.

Vous noterez qu’en voulant démontrer le fait que le film n’avait pas fait un véritable travail sérieux de recherche (le comble pour un film présenté comme réaliste), je n’ai fais preuve d’aucune naïveté sur les difficultés auxquelles pourrait faire face une société pour se reconstruire dans un cas de figure aussi dévastateur. Nous avons bien au contraire parlé des sujets essentiels à toute société confrontée à une catastrophe majeure (le contraire de ce que film prétend avoir réalisé). Comment maintenir nos systèmes agricoles ? Quelle gouvernance imaginer ? Quelle place pour la solidarité et la dignité humaine ? Nous l’avons fait en étudiant l’histoire, la géographie, l’agriculture et en parlant de façon transparente de l’ensemble des contraintes. Loin des fantasmes technologiques (les seuls qui comptent pour le film) déconnectés de la nécessité de nous nourrir collectivement (une chose essentielle après une telle catastrophe).

Comme je l’ai dit : « Il aurait été plus prudent de montrer des champs fertiles et des communautés agraires simples. Une vie dans les champs, simple et humble. Une salle de classe avec un tableau et des craies. Un conseil local sous la supervision d’anciens fonctionnaires et militaires. Quelques expéditions pour récupérer du charbon ou exploiter une mine proche. Peut-être la Mer du Nord aussi, si on pense que cela aurait dû se passer dans l’Est de l’Angleterre. »

Quelque chose de simple, de nécessaire, et peut-être bien plus réaliste que les fantasmes du film qui imagine que l’agriculture et les terres les plus improductives de son propre monde vont permettre la ré-émergence de l’industrie et du charbon : « Malheureusement, il va falloir cultiver les terres inhospitalières et peu fertiles autour de Buxton. Comprendre comment une télévision peut fonctionner sans jamais voir sa source d’alimentation. Et rallumer la lumière dans des villes désertées comme Sheffield, peut-être Birmingham ou encore Liverpool. Un sujet logistique impensé par les réalisateurs malheureusement. »

Le film le plus réaliste au monde, avec toutes les cautions scientifiques, académiques et intellectuelles inimaginables; pense que sans système agricole fonctionnel et productif, sans société, et sans gouvernance, on peut redémarrer une centrale à charbon. La preuve définitive et formelle d’un film « vivant dans sa propre réalité délirante et comprenant probablement à peine son propre monde délirant. Le « pourquoi » il ne faut pas se laisser aller à ses hypothèses »

Si l’on ajoute à cela le fait que le film interprète l’existence d’un mécanisme de solidarité aussi évident et basique que le rationnement alimentaire comme une « économie de la mort » (l’autre impensé du film : nous fournir finalement un mécanisme alternatif bien plus explicatif et rationnel que les conséquences abstraites des bombes atomiques; la mort de son message principal sur l’inévitabilité de l’effondrement après une guerre nucléaire, puisque des décisions humaines reprennent la main sur son propre narratif), le film est un raté total sur le plan intellectuel, scientifique, historique, agraire et géographique.

Cette déclaration du narrateur est à la fois terrible, cruelle, peu informée et cynique tant elle dénature un mécanisme qui a toujours permis la survie collective : « …Tous les citoyens valides — hommes, femmes et enfants — devraient se présenter aux tâches de reconstruction, à partir de 08h00 demain matin… La seule monnaie viable est la nourriture, donnée en récompense du travail ou refusée en guise de punition… Un survivant qui peut travailler reçoit plus de nourriture que celui qui ne le peut pas et plus il y a de morts, plus il reste de nourriture pour les autres… »

Quant aux scènes de fin du film, elles illustrent la perversité problématique du film : le film a besoin de la résilience (même fictionnelle) des personnages à l’écran, mais leur déni tout semblant d’humanité, tout en ne parvenant pas à réconcilier son message avec ce que le film montre d’eux à l’écran. La psychose du film.

Un travail dans lequel j’ai finalement pu exprimer des valeurs personnelles fortes. Des valeurs sans aucun doute liées au Judaïsme que j’admire profondément : une religion qui symbolise pour moi l’abnégation face à l’adversité, la poursuite de la vie, la centralité inébranlable du Livre et la transmission du savoir. Des valeurs délibérément gommées par les réalisateurs du film et qui concernent pourtant ce qui caractérise notre humanité : le respect de la dignité et de la vie humaine, le facteur humain, l’ingénuité, la collaboration, l’espoir aussi même dans les moments les plus difficiles, le respect des cycles agricoles, la logique d’un renouveau malgré les épreuves et la continuité humaine. 

J’y ai également défendu ma conviction personnelle – quelque que puissent être les drames majeurs auxquels l’humanité peut faire face (hypothétique guerre nucléaire, famine, génocide) – que l’on doit mettre en oeuvre un respect total, fondamental et obligatoire envers les vivants – même lorsque l’effondrement est le plus complet et le plus sombre. Je crois aussi qu’aucune catastrophe ne doit devenir un impensé. La pensée est un devoir. Un devoir pour ceux qui survivront. Pour nous. Pour eux.

Un travail sans doute également influencé par mes films préférés qui sont très différents de Threads :

  • Urga
  • The Thin Red Line
  • 25th Hour
  • The Place Beyond the Pines
  • Les Misérables (adaptation de Claude Lelouch)

Des films où la résilience et la dignité humaines (et l’espoir aussi) sont au cœur de l’action. Des choses que j’ai également explorées en utilisant Threads comme matériau de base pour comprendre comment les gens peuvent réagir dans leur ensemble dans une situation désastreuse.

J’ai par contre un dédain « définitif » pour les films nihilistes et détestables comme The Road. De mon point de vue, ce genre de film n’est même pas sombre : The Road a probablement été réalisé pour satisfaire des fantasmes dégoûtants. Il ne peut en être autrement.

L’analyse du film Threads que nous avons réalisé amène à la conclusion que : 

  • Le film n’a jamais conceptualisé l’intendance requise pour rendre ses propres scènes crédibles – notamment sur le plan agricole
  • Le film ignore la géographie la plus « primaire » du Royaume-Uni : charbon et terres fertiles sont à l’Est, et non dans les prairies pastorales de Buxton
  • Le film ne comprend pas qu’un récit réaliste doit articuler chacune de ses scènes et assertions dans un enchaînement logique – ce qu’il échoue à faire
  • Le film propage un message problématique selon lequel la dignité humaine doit s’écraser sous prétexte du projet idéologique des réalisateurs – les bombes nucléaires valent plus que le respect dû à n’importe lequel des survivants (fictifs ou réels)
  • Enfin, film est en pleine « psychose » narrative en croyant décrire un pays qui serait en phase terminale définitive (agriculture, démographie, société…)… tout en montrant des signes qui nécessitent l’exact inverse

En conclusion l’analyse détaillée et minutieuse amène : 

  • Inversion complète du message initial du film… par le film lui-même: la catastrophe initiale (le bombardement atomique) devient périphérique, les choix humains (notamment les choix désastreux des autorités de mettre en place un programme “travail-contre-nourriture ») reviennent au premier-plan, et ce sont finalement les choix politiques qui prennent le dessus pour expliquer les événements suivants à l’écran
  • Introduction de la notion de résilience à marche forcée : un pays en plein désarroi avec famine, effondrement de la gouvernance et dé-mécanisation complète montre une décennie plus tard une société organisée, productive et des activités non-agricoles

Quoi que l’on puisse dire de mes hypothèses développées ici : tout le problème est lié à la prétention de ce film d’occuper depuis 40 ans le titre de film maître du réalisme absolu. Un réalisme qui nécessite une logistique (agricole, géographique, sociétale…) même minimale – et non conceptualisée à l’écran. Une intendance qui détruit au bout du compte son message – étant à la fois nécessaire pour prétendre au titre de film réaliste et totalement contradictoire avec son message philosophique et moral; le film ne pouvant pas prétendre aux deux simultanément. 

Le film, monument du nihilisme séculaire, nous emmène au carrefour de l’imaginaire contre son gré. La réalité agricole et minière de l’Angleterre n’est pas contestable : les champs et le charbon sont à l’Est. Mais un tel évènement n’a jamais eu lieu. Cela aurait-il été possible ? Nous ne le saurons peut-être jamais. Et dans le même temps, cela a dû être non seulement plausible mais même obligatoire dans le film considéré comme le plus réaliste qui soit. C’est assez poétique et beau en même temps : quelque chose d’impossible à attester ou réfuter définitivement – que le film refuse à la fois de nier et reconnaître – devient la condition primaire de son réalisme, rendant ce fait incontestable pour garantir sa crédibilité. En fin de compte : une fable moderne sur la rigidité et l’échec des institutions, la résilience et la dignité humaine, le renouveau agricole et la continuité humaine.

Par respect pour le pluralisme démocratique, les alternatives “connues” à nos explications :

PrismeRaisonnementValidité du raisonnement
ThreadsJOKER❌️
IntellectuelsLe film est réaliste donc il est réaliste❌️
😵‍💫On peut vivre avec un semi-système agricole❌️
Fanbase Rayons UV et pas de nourriture ❌️
JaneGrange près des plaines céréalières à l’Est de l’Angleterre✅️

Et on ne manquera pas de noter une forme de continuité avec le précédent tableau concernant les explications alternatives :

PrismePremière annéeSaut narratifValidation du raisonnement
ThreadsJOKERJOKER❌️
IntellectuelsLe film est réaliste donc il est réalisteLe film est réaliste donc il est réaliste❌️
😵‍💫Les scènes avec Ruth impliquent simplement qu’il y a moins à mangerOn peut vivre avec un semi-système agricole❌️
FanbasePas de soleil
=
Pas de nourriture
Rayons UV et pas de nourriture❌️
Exégèse + JaneArticulation d’une scène isolée et ambigüe avec un phénomène climatique et des choix de gouvernance montrés dans le film Grange près des plaines céréalières à l’Est de l’Angleterre

✅️

“On a fourni le B-A-BA, au film de se démerder avec tout ça”

La pire chose qui puisse arriver après une guerre nucléaire ? Cultiver ensemble de la nourriture avec des outils simples, des graines, de la terre et peut-être aussi de l’espoir. Le drame ultime pour le fan moyen des films « apocalyptiques ». Pour certains universitaires aussi. C’est exactement ce que nos ancêtres ont fait pendant des siècles et des millénaires. L’exigence pour que le film soit plausible.


...pour ces survivants que le film n’a jamais conceptualisé lui-même : ceux des champs avec leurs houes, ces soldats essayant de maintenir un semblant d’ordre et Jane…


Mais c’est déjà une très longue discussion : l’introduction que je craignais d’écrire en « New English » pour l’édition 1997 du Domesday Book sous la supervision de Jane

« Ceux qui sèment avec larmes récolteront avec des chants de joie. Ceux qui sortent en pleurant, portant des graines à semer, reviendront avec des chants de joie, emportant avec eux des gerbes. » Psaume (126 : 5-6)

« Ceux qui travaillent leur terre auront une nourriture abondante, mais ceux qui poursuivent des fantasmes n’ont aucun sens. » Proverbes (12:11)

Ruth alla ramasser des épis dans un champ, derrière les moissonneurs.” Ruth (2:3)

“La Houe s’étant disputée avec la Charrue, la Houe s’adresse à la Charrue : Charrue, tu traces des sillons, en quoi tes sillons m’intéressent-ils ?” Débat entre la houe et la charrue, texte Sumérien du 3ème millénaire avant JC

Santé à la récolte de 1998 quelque part dans ce qui était autrefois le centre de l’Angleterre, 14 ans après l’attaque nucléaire, dans l’univers alternatif de Threads. Celles aussi de 1997, 1996, 1995, 1994… et toutes les autres avant elles. Qu’il s’agisse d’orge, de pommes de terre, de navets, de carottes, de seigle… Et peut-être aussi dans ce qui était autrefois l’Écosse, le Pays de Galles et le sud de l’Angleterre.


Sources

Hiver nucléaire : 

  • Tambora and the “Year without summer” : par l’Université de Bern sur les effets d’un événement climatique sévère

Cas Biélorusse : 

  • BELARUS: COUNTRY REPORT TO THE FAO INTERNATIONAL TECHNICAL CONFERENCE ON PLANT GENETIC RESOURCE : par l’Institut de recherche sur l’agriculture et les fourrages (Biélorussie), 1996
  • Impact of the Chernobyl accident on agriculture : par l’IRS (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire)

Pour les cartes minières du Royaume-Uni :

  • Et Margaret Thatcher brisa les syndicats : le Monde Diplomatique (2010)
  • Homes to be heated by warm water from flooded mines : BBC (2020)
  • Northern Mine Research Society

Pour les cartes agricoles du Royaume-Uni (blé, pommes de terre…) : 

  • Agriculture and Horticulture Development Board
  • U.S. Department of Agriculture – Foreign Agricultural Service
  • POTATO PRO
  • Revision World (Distribution of farming types in the UK)

Pour les conversion (barils en litres) : 

  • UnitConverters

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