Titre original – UK 1984–1985 : analysis of the fuel crisis and societal collapse in Threads (1984)
J’ai écrit cet article pour « marcher » en quelque sorte dans les pas des autorités dans la première partie du film, l’année après l’attaque nucléaire sur le Royaume-Uni. Utiliser le prisme de l’essence était important car c’est une ressource extrêmement précieuse et indispensable à la bonne marche de n’importe quelle économie moderne. Dans le contexte d’une analyse du film, cette ressource va nous permettre de répondre à une question essentielle : les causes de l’effondrement sont-elles liées à une disparition des ressources ou à un autre facteur ? Voici la géographie britannique nécessaire à la compréhension de ce premier essai :

Il s’agit du premier essai d’une sorte de trilogie :
- Royaume-Uni 1984-1985 : analyse de la crise du carburant et de l’effondrement de la société dans Threads (1984) : reconstruction des événements de la première année du film menant à un effondrement majeur de la société
- Royaume-Uni 1985-1994 : explication du saut narratif dans Threads (1984) : une tentative de reconstruction de la décennie entre les scènes de la fin de la première année, qui décrivent un chaos total, et les scènes dix ans plus tard, qui montrent un pays qui a retrouvé la stabilité nécessaire
- Quelques réflexions profondes sur Threads (1984) : un résumé des deux articles précédents, et des réflexions plus générales sur les aspects problématiques du film (et plus généralement des films et des études scientifiques sur ce sujet) d’un point de vue moral et éthique
- Plan d’urgence britannique d’avant-guerre
- Stockage au Royaume-Uni et disponibilité du carburant dans le film Threads
- « Retombées nucléaires » du 26 mai 1984 au 9 juin 1984
- « Tentative de reconstruction, exode des villes et pré-récolte » 10 juin 1984 au 22 septembre 1984
- « Première récolte post-guerre nucléaire » 23 septembre 1984 au 22 décembre 1984
- « Premier hiver post-guerre nucléaire » 23 décembre 1984 au 28 mars 1985
- « Effondrement de la gouvernance centralisée » du 29 mars 1985 au 26 mai 1985
- « Finir l’année 1985 ? » de 27 mai 1985 au 31 décembre 1985
- Epilogue
- Sources

Un an après l’attaque nucléaire dans le film Threads, on devine qu’il n’y a plus de carburant disponible étant donné que l’on voit des gens travailler dans les champs avec des houes, sans tracteur et moissonneuse-batteuse. Étant donné que l’essence était apparemment rationnée et utilisée uniquement par nécessité, il est intéressant d’étudier comment l’ensemble du stock de combustible aurait pu disparaître en un an au Royaume-Uni dans le film Threads, mais aussi dans le cas d’une guerre nucléaire ayant entraîné une perturbation majeure.
Notes importantes sur ce qui va suivre :
- Le taux de conversion utilisé dans l’article est de 1 litre de carburant = 0,006 baril
- Le document suppose que les autorités rationnent l’utilisation du carburant disponible pour le faire durer au moins un an
- Et concernant l’année exacte (qui reste ambiguë, même si le jour de l’attaque est un jeudi qui n’existait pas en 1984 mais en 1983), je choisis 1984 (l’année de sortie du film)
Plan d’urgence britannique d’avant-guerre
Nous savons, grâce aux données économiques du Royaume-Uni en 1983, que le pays était capable de produire plus de 2 millions de barils de pétrole par jour et qu’il en consommait entre 1 et 1,5 million par jour. Je conserverai l’estimation la plus élevée pour les calculs de cet article. Nous savons également grâce à la divulgation récente de documents confidentiels que le Royaume-Uni stockait de nombreux produits pendant la guerre froide comme du carburant, de la nourriture, des médicaments…

Il est difficile de quantifier correctement la quantité de produits stockés en raison du caractère évasif de certains documents, mais nous savons que le Royaume-Uni en 1984 (grâce au site Subterranea Britannica que j’ai beaucoup utilisé pour cet article : https://www.subbrit.org.uk/features/struggle-for-survival/) aurait peut-être pu stocker – en temps de crise – des quantités de pétrole représentant 76 jours d’utilisation en temps de paix. Le site n’est pas très précis sur le volume exact, on partira donc de la consommation en barils du Royaume-Uni par jour, ou 114 millions de barils de pétrole (brut ou raffiné). Pour ceux qui ne le savent pas, il existe deux manières de stocker le carburant :
- Pétrole brut : il peut durer des années, mais ne peut être utilisé immédiatement sans raffinement
- Essence raffiné : il peut durer 6 mois à 1 an, mais est disponible immédiatement et plus facile à stocker

Stockage au Royaume-Uni et disponibilité du carburant dans le film Threads
Le gouvernement britannique dans le film Threads aura probablement voulu stocker la majorité de ce pétrole sous forme de pétrole raffiné en préparation de son plan d’urgence, mais ce n’est pas impossible en raison de la précipitation selon laquelle certains barils sont du pétrole brut (disons 10 % du total). Dans le film Threads, la crise menant à la guerre nucléaire commence le 5 mai et se termine le 26 mai lorsque les bombes tombent sur le Royaume-Uni, laissant au gouvernement une courte fenêtre de 20 jours pour stocker du carburant. Plusieurs facteurs sont en jeu si nous voulons nous aligner sur le récit fait dans le film Threads :
- Manifestations violentes contre la guerre
- Citadins quittant les villes
- Des soldats sont déployés en renfort en Europe
- Aucun (ou très peu) rationnement du carburant n’est appliqué au Royaume-Uni
- Des véhicules militaires sont repérés en train de prendre position à travers le Royaume-Uni
- Les véhicules d’urgence sont déplacés à travers le Royaume-Uni pour sécuriser leur emplacement
- De nombreux chasseurs sont utilisés le 26 mai lorsque l’Union soviétique lance son attaque
- Une quantité négligeable de carburant a été importée en raison de la crise internationale
- Même si le conflit est éclipsé par la crise internationale, le Royaume-Uni reste impliqué dans les Troubles en Irlande du Nord
- La grève des mineurs britanniques se poursuit depuis le 6 mars
Les deux derniers points sont très spécifiques au Royaume-Uni, mais ne sont pas articulés par le film. On ne les prendra pas en compte pour expliquer les évènements à l’écran. La quantité de 76 jours de pétrole correspondant à un usage en temps de paix est très peu probable dans ce contexte. Il est plus probable que le Royaume-Uni ne dispose que de 20 jours de pétrole à la fin de la journée du 26 mai, soit 30 millions de barils de pétrole (soit dans des centres de stockage spéciaux, soit via le contrôle des stations-service), mais à la fin du mois de mai de l’année suivante, tout a disparu.
L’attaque subie par le Royaume-Uni au matin du 26 mai est très brutale : près de 210 mégatonnes s’abattent potentiellement sur le pays. Avec une moyenne de 1.5 mégatonnes, cela représente 140 bombes. On ne peut que deviner pourquoi l’Union soviétique a lancé son attaque :
- La crise a peut-être atteint un point de non-retour, ce qui signifie que les dirigeants de l’Union soviétique étaient dans l’incapacité de reculer sans encourir d’énormes coûts politiques à l’intérieur et à l’extérieur du pays, ce qui les a poussés à une fuite en avant. Les émeutes croissantes en Allemagne de l’Est mentionnées dans le film vont dans ce sens. La retraite après tous les déploiements de forces en Allemagne de l’Est aurait probablement été trop coûteuse pour les dirigeants soviétiques, car elle s’était faite aux dépens des civils. L’économie de l’Union soviétique était en plein désarroi dans les années 80, et cette montée en puissance de l’appareil militaire aurait entraîné davantage de pénuries et de sacrifices
- Poussé par son idéologie – un scénario extrême mais qui peut s’insérer dans la logique du film qui ne justifie pas l’attaque – le Politburo est arrivé à la conclusion que la perte d’au moins 75 millions de personnes en Union soviétique était acceptable dans le cadre d’un plan d’attaque massif et coordonné, si c’était le prix à payer pour gagner hypothétiquement contre les États-Unis et continuer à faire fonctionner l’Union soviétique. Une attitude qui se situe entre la folie, le calcul froid et la croyance sincère
- Il est également plausible qu’ils aient réagi à une escarmouche mineure ou à une provocation (même par erreur), et qu’ils aient décidé d’exécuter le plan d’invasion de l’Allemagne de l’Ouest jusqu’au Rhin
- Le fait que des bombes nucléaires aient été utilisées lors de l’invasion de l’Iran décrite au début du film pourrait avoir conduit à une « normalisation » de l’utilisation des armes nucléaires dans les cercles militaires soviétiques
Le fait est que nous ne le saurons jamais. Dans le scénario décrit par le film, les soviétiques ont d’abord commencé par créer un EMP en faisant détoner une bombe à haute altitude en Mer du Nord pour complètement paralyser les communications au Royaume-Uni et en Europe de l’Ouest. Le film ne le montre pas, mais ce qui va probablement se produire au même moment, c’est que les troupes soviétiques et du Pacte de Varsovie (peut-être 0,5 à 1 million de soldats) vont franchir les frontières de l’Allemagne de l’Est pour entrer en Allemagne de l’Ouest, afin de pousser jusqu’au Rhin. Cela faisait partie d’un plan appelé « Sept jours vers le Rhin » élaboré par les dirigeants soviétiques pendant la guerre froide.
Dans le scénario décrit par le film, les soviétiques ont d’abord commencé par créer un EMP en faisant détoner une bombe à haute altitude en Mer du Nord pour complètement paralyser les communications au Royaume-Uni et en Europe de l’Ouest. Les premières cibles seront ensuite les bases militaires britanniques ainsi que celles de l’OTAN, puis les infrastructures stratégiques : ports, centrales, aéroports, raffineries… Les chiffres suivants sont issus d’un travail publié sur Medium sous le titre “The consequences of a nuclear war : case study on 80s UK”. On peut potentiellement lister :
- 10 ports de manutention de fret
- 12 aéroports internationaux ou régionaux
- 10 centrales électriques
- 40 infrastructures militaires (bases, radars, centres de communication…)
Les bombardements commencent ensuite par viser toutes les grandes villes et centres urbains majeurs. Londres bien sûr, mais également de nombreuses villes industrielles, économiques et portuaires; avec parfois des vocations multiples. On peut ainsi lister :
- Manchester (textile)
- Birmingham (automobile)
- Liverpool (grand port et industrie)
- Glasgow (construction navale)
- Leeds (textile et ingénierie)
- Sheffield (acier et produits sidérurgiques)
- Newcastle (construction navale et acier)
- Nottingham (habillement et médecine)
- Plymouth (construction navale)
- Belfast (construction navale et textile)
- Bradford (textile)
- Stoke-on-Trent (une ville spécialisée dans la céramique fine, mais elle peut encore être considérée comme un centre manufacturier)
- Cardiff (acier)
- Portsmouth (port de la Royal Navy)
Pour Londres, on pourrait avoir ces chiffres :
- 4,43 millions de morts
- 13-19 mégatonnes
Pour les villes industrielles et économiques citées plus haut, ce serait potentiellement :
- 10 millions de morts
- 31-45 mégatonnes
On peut également citer des villes plus symboliques comme Oxford et Cambridge. Deux centres éducatifs majeurs et là où sont formées la plupart des élites britanniques. Les chiffres :
- 0,22 millions de morts
- 1 mégatonne au total
Ce qui a pu se produire ensuite était alors inévitable en raison de la nature d’un échange nucléaire. Cela devient un échange à outrance avec de nombreuses cibles non pertinentes touchées pour maximiser la destruction dans le pays et parfois sans justification : Leicester, Gloucester, Swansea… Les chiffres des bombardements finaux sont :
- 5 à 6 millions de morts
- 15-19 mégatonnes
Les villes potentiellement impactées seraient :
- Southampton
- Bristol
- Leicester
- Brighton and Hove
- Edinburgh
- Bournemouth
- Sunderland
- Kingston upon Hull
- Luton
- Peterborough
- Gloucester
- Londonderry
- Swansea
- Reading
- Aberdeen
- Warrington
- Norwich
- Swindon
- Southend-on-Sea
- Dundee
- Ipswich
On peut ajouter aussi potentiellement :
- York
- Derby
- Crewe
- Blackpool
- Blackburn
- Exeter
- …
En fonction des estimations, le nombre potentiel de victimes immédiates pourrait s’élever entre 20 et 29 millions de morts. Voici un schéma simplifié des bombardements potentiels :


Les cibles en rouges (logiques bombardements atomiques) sont des villes identifiées dans les rares informations publiques de l’exercice “Sept jours jusqu’au Rhin”. Sont ajoutés : le QG de l’OTAN à Bruxelles, les bases militaires américaines en East-Anglie et les champs de pétroles/gaz de Mer du Nord. On identifie également l’EMP (cercle gras en pointillé) au-dessus de l’Europe de l’Ouest et du Royaume-Uni. La poussée soviétique est identifiée par les flèches noires. Avec un point d’interrogation : la question d’une invasion éventuelle de la Finlande. Les croix rouges, les pays qui ne sont pas considérés comme des cibles sérieuses : France, Irlande, Norvège, Suède… Avec les flèches bleu, les mouvements des troupes de l’OTAN, et avec des cercles jaunes les bombardements atomiques en “airbusts” sur les troupes soviétiques.
Cinq éléments sont à prendre en compte pour expliquer l’épuisement rapide du carburant :
- Certains centres de stockage ne sont probablement plus accessibles suite aux frappes nucléaires (routes sont détruites, remplies de véhicules abandonnés, radiations, EMP, cible directe…) Si nous essayons d’estimer la quantité de carburant perdue et en tenant compte de l’ampleur des destructions indiquées dans Threads, cela pourrait représenter 30 % du stock
- Sur ce stock restant, nous avons dit que probablement 10 % était du pétrole brut. Compte tenu de l’ampleur de la destruction, nous pouvons supposer que le pétrole brut était inutilisable et irrécupérable du fait de la destruction de nombreuses raffineries
- Etant donné que la majeure partie du pétrole était stockée sous forme de pétrole raffiné (essence, diesel…), la durée de vie de ce pétrole raffiné était de 6 mois à 1 an, mais uniquement dans de bonnes conditions de stockage et de transport. En raison des mauvaises conditions de stockage et de transport suite à la guerre nucléaire, il n’est pas faux de penser que jusqu’à 20 % du stock deviendra progressivement inutilisable et même dangereux pour les véhicules dans les mois à venir. La baisse prolongée de température due à l’hiver nucléaire peut conduire à une cristallisation de l’essence rendant le combustible inutilisable à moins que des additifs ne soient ajoutés, ce qui est peu probable. Le manque de stockage adéquat entraînera l’oxydation et l’humidité de nombreux conteneurs de carburant, rendant l’utilisation de ce carburant dangereuse pour les véhicules car il pourrait obstruer les moteurs
- Enfin, il est également important de prendre en compte le fait qu’une grande partie du carburant sera perdue à cause des fuites, d’une mauvaise gestion, de pertes et de vols. On peut imaginer que 10 % du stock de carburant sera ainsi gaspillé à un moment ou à un autre
Cela nous laisse avec un stock réel de 9 millions de barils au jour 0 suivant l’attaque nucléaire, donc 21 millions de barils sont perdus et non comptabilisés. Donc 70% est inutilisable dès le début ou progressivement. En nous basant sur la consommation quotidienne de carburant du Royaume-Uni d’avant-guerre, cela représente 6 jours d’utilisation en temps de paix. Avec un rationnement prudent, ce stock de carburant peut durer un an avec seulement 25 000 barils par jour. Pour chacune des périodes, un encart final rappel ce qui a dû être fait pour justifier la possibilité d’une démographie conséquente (celle du film) soit 4 à 11 millions de survivants à la fin du film; le second essai détaillant pourquoi (au vu des technologies visibles à l’écran à la fin du film), le nombre de survivants se situe dans la fourchette haute.
« Retombées nucléaires » du 26 mai 1984 au 9 juin 1984
…Les niveaux de rayonnement sont toujours dangereux. Les résidents de la bande de libération A — c’est-à-dire Woodseats, Dore and Totley et Abbeydale — ne devraient pas rester en dehors de leurs refuges plus de deux heures par jour…

Suite aux frappes nucléaires, les gens sont invités à rester chez eux pendant au moins deux semaines en raison des retombées radioactives. En raison du danger de ces retombées radioactives, très peu de déplacements de véhicules (militaires, pompiers…) sont susceptibles d’avoir lieu à travers le Royaume-Uni, mais une partie du carburant pourrait déjà être extraite des stocks pour faire fonctionner de nombreux moteurs-générateurs à travers le pays dans des bunkers (pour le gouvernement et les sièges régionaux du gouvernement ou RSG; Regional Seats of Government en anglais), des hôpitaux, des bases militaires… et également pour entretenir des infrastructures critiques comme les centres de communication. Environ 1,6 % (environ 140 000 barils) du stock de carburant sont utilisés sur deux semaines, soit 10 000 barils par jour.
Nous apportons une précision importante sur un sujet qui nous semble essentiel pour la suite : quel niveau de gouvernance lors de cette première année dans le film ? D’après les plans de contingence britanniques, en cas de crise majeure, les autorités locales (notamment les RSGs) devaient assumer le plus gros des responsabilités et fonctionner presque en autonomie. Nous avons, au delà de ce qui aurait eu lieu ou pas dans la réalité, des réserves sur ce système de gouvernance théorique :
- Les régions britanniques, comme partout ailleurs, sont inégales sur les plans agraires, démographiques, de l’essence… Par conséquent, une application simpliste de cette logique pourrait conduire à des absurdités comme une région au potentiel agricole énorme qui ne pourrait pas assurer de récoltes faute d’essence, aucun mécanisme national n’étant en place. Une région à l’agriculture inexistante devrait nourrir sa population sans mécanisme national non plus. Cela ne nous semble pas réaliste dans la pratique, mais si peut-être théorisé dans des plans gouvernementaux
- Le film va nous montrer quelque chose d’intéressant : peu avant la récolte, les membres du Conseil municipal de Sheffield – en charge de la zone urbaine et des alentours – meurent ensevelis sous les gravats de leur abri. Pourtant, un certain nombre de choses en surface sont organisées, probablement à Sheffield et aux alentours. On doit donc en déduire qu’une gouvernance nationale a subsisté pour coordonner des acteurs en cas de défaillance de l’un d’entre eux
- Plusieurs choses sont organisées dans le film à une échelle que l’on peut supposer nationale (ou au moins à un niveau régional élargi) : un mécanisme de rationnement dont nous parlerons plus tard et surtout une récolte mécanisée (annoncée par un message gouvernemental, le dernier du film). Ces deux mécanismes sont dépendants de ressources qui doivent faire l’objet d’une coordination : la nourriture et l’essence. Et la récolte quant à elle suppose un effort qui doit être coordonné et planifié à une échelle bien plus importante que le comté ou le simple RSG, pour une raison simple (dont nous parlerons en détail plus tard) : la géographie agraire Britannique qui implique de concentrer les efforts dans des régions spécifiques et d’en redistribuer les fruits
Par conséquent, nous aurons tendance à penser les efforts de cette première année sur un plan davantage national que régional. Un fait d’ailleurs attesté, par exemple, par cet intertitre situé une semaine après l’attaque et qui signale que des représentants du gouvernement central britannique sont envoyés à travers le Royaume-Uni pour prendre le contrôle des stocks alimentaires dans différentes régions du pays.

Par exemple, un générateur diesel de 300 kW consomme 70 litres par heure (charge pleine). Un générateur plus puissant, par exemple 600 kW consomme potentiellement 150 litres par heure (charge pleine). Cela ferait une moyenne de 110 litres par heure. Si le générateur fonctionne toute la journée, cela équivaut à 2640 litres par jour, et 36 960 litres pour les deux semaines suivant les retombées, ce qui correspond à 232 barils. En 1984, le Royaume-Uni disposait peut-être de moins de 250 générateurs stratégiques à travers le pays (ce nombre est totalement inconnu pour être transparent – probablement même moins de la moitié de ce chiffre – l’idée étant plus avec cette valeur de créer en quelque sorte des contraintes dans notre estimation de l’essence consommée; l’idée est aussi de tenir compte de la possibilité de capacité très variables), ce qui aurait représenté 70 000 barils pour les deux semaines ou 5 000 barils par jour (ou 20 barils par jours par générateurs si on se base sur le chiffre de 250 générateurs).

Pour être d’ailleurs tout à fait transparent sur la suite : les ratios exacts de consommation ou le nombre d’unités (bunkers, véhicules…) ne seront pas déterminants pour comprendre ce qui est arrivé après l’attaque, même si ils fournissent une forme d’armature pour comprendre les événements à l’écran.
Ce qui reste disponible est probablement utilisé par les forces militaires qui prennent position à travers le pays (sécurisent les dépôts alimentaires, les entrepôts, les stations-service…) et mènent certaines opérations de faible envergure. Le stock s’élève désormais à 8,8 millions de barils après le couvre-feu.
Points clés de la période :
- Continuité d’une gouvernance centralisée nécessaire même si diminuée (à minima, via l’envoi d’émissaires sur place pour coordonner les actions nécessaires)
- Nécessaire déploiement de forces, même minime, dans les points clés du pays (stations services, dépôts d’essences, entrepôts de nourritures…) pour garantir la continuité logistique
- Début de l’état des lieux des infrastructures nationales pour coordonner la reconstruction à venir
« Tentative de reconstruction, exode des villes et pré-récolte » 10 juin 1984 au 22 septembre 1984
Les trois mois et demi qui suivront le couvre-feu et mèneront aux récoltes verront beaucoup de choses se passer au Royaume-Uni. Tous ces événements seront étroitement liés et ne se produiront pas de manière séquentielle. Les scènes du film ont laissé les choses ambiguës mais on peut en déduire que cette phase a duré 3 mois et demi, puisque la première récolte post-nucléaire a commencé 4 mois après l’attaque nucléaire, précédée 5 semaines après l’attaque nucléaire par un exode croissant des grandes agglomérations vers des villes plus petites comme Buxton et la campagne, et ensuite la nécessité d’organiser une pré-récolte. En trois mois et demi, le stock est épuisé de 2,08 millions de barils, soit 23.5 % de ce qui reste. Cela représente environ 20 000 barils par jour.
…Tous les citoyens valides — hommes, femmes et enfants — devraient se présenter aux tâches de reconstruction, à partir de 08h00 demain matin… La seule monnaie viable est la nourriture, donnée en récompense du travail ou refusée en guise de punition… Un survivant qui peut travailler reçoit plus de nourriture que celui qui ne le peut pas et plus il y a de morts, plus il reste de nourriture pour les autres…
Deux semaines après l’attaque, le gouvernement britannique a contacté par radio les habitants et leur a ordonné de s’inscrire aux points désignés pour commencer la reconstruction. Le narrateur va introduire à ce moment-là un certain nombre d’informations concernant un élément important : la nourriture et notamment sa distribution. D’apparence anodine, cette information (jamais développée par le film lui-même) va pourtant avoir des répercussions en chaîne imprévisibles, et que je vais développer plus tard. Le mécanisme décrit par le narrateur ne ressemble pas à un système rationnement classique. C’est un descriptif assez inquiétant d’ailleurs. Nous appellerons ce mécanisme « travail-contre-nourriture ». Le cadre conceptuel proposé par le film est pour le moins étrange. On parle d’un système de rationnement alimentaire qui fonctionne selon ces principes :
- L’argent n’a plus de sens depuis l’attaque
- La seule monnaie viable est la nourriture
- [Utilisée comme] récompense du travail ou retenue en guise de punition.
- Un survivant qui peut travailler reçoit plus de nourriture qu’un autre qui ne le peut pas
- Plus il y a de morts, plus il reste de nourriture pour les autres…
Il est à mon sens important d’être très honnête sur ce mécanisme : cela ne ressemble en rien à du rationnement classique. On est dans une configuration qui rappelle davantage un camp de concentration. Faut-il comprendre ce descriptif comme une preuve de cynisme du narrateur (et du film) ou comme une réalité tangible dans l’univers du film ? Comme Threads ne fournit jamais d’explication sur ses prémisses : nous nous devons de considérer cela comme une réalité tangible dans son univers. Et cela sera attesté par les scènes du film lui-même.
D’un point de vue purement historique, il est possible que le gouvernement britannique ait pu prévoir des dispositions prévoyant de remplacer provisoirement la monnaie par un système de troc temporaire. Cette hypothèse est décrite dans l’ouvrage War Plan UK de 1982 de Duncan Campbell. Mais manifestement, la lecture faite des passages nous semble sélective. Ainsi à la page 127 : « En même temps, les planificateurs n’ont pas perdu de vue leurs valeurs fondamentales. Dans la plus remarquable des circulaires adressées aux autorités locales, Briefing Material Journal Wartime Controllers (53/76), le ministère de l’Intérieur a exposé ses vues sur l’économie post-nucléaire :
Effondrement de l’économie monétaire:
Une attaque nucléaire de grande envergure contre ce pays perturberait complètement le système bancaire sur lequel repose l’ensemble de l’économie monétaire. Même une attaque à petite échelle sur Londres et sur le site des principales installations des grandes banques de compensation aurait un effet similaire… L’argent, sous sa forme actuelle, n’aurait plus aucune signification. La circulaire proposait que le troc et, pour le gouvernement, la cession de nourriture ou de vêtements, remplacent assez rapidement l’utilisation de l’argent « en tant qu’élément de l’économie ». moyen d’acheter des biens ou de récompenser des services.
Il a ensuite souligné que :
Le rétablissement d’un nouveau système monétaire dans les plus brefs délais serait un élément essentiel de la politique de redressement national. Cela pourrait prendre un an ou plus, selon l’ampleur de l’attaque, et on ne peut pas supposer que l’ancienne monnaie sera rachetée, sauf peut-être au prix d’une dévaluation considérable de son pouvoir d’achat antérieur (souligné par l’auteur).
La circulaire explique également que les commissaires régionaux recevront l’aide de « conseillers financiers issus du Trésor et du secteur privé ».«
A titre personnel, le fait que la monnaie soit compromise ne me choque pas. Le mécanisme est pourtant présenté dans cet ouvrage comme aberration morale et éthique, tout en soulignant que des plans étaient connus pour revenir à la normale. L’auteur du livre semble ne pas voir la problématique du sujet et écrit ce commentaire dénué de sérieux à notre sens : “Ces aperçus des priorités officielles pour un avenir post-nucléaire contrastent étrangement avec la pauvreté de la réflexion dans d’autres domaines. En revanche, sur des sujets tels que l’ordre public, les projets sont bien développés.”
L’auteur ne semble pas savoir (ou comprendre) qu’un plan de contingence est fait pour maintenir une société “debout”. La monnaie (une base essentielle de toute société moderne) est un problème que se doit d’évoquer tout plan de contingence, au même titre que le reste : rationnement, agriculture, ordre etc… Le film en fait une lecture particulièrement problématique.
Et à la page 153 je cite : » Bien entendu, de nombreux « crimes » commis en temps de paix auraient cessé d’avoir de l’importance, « à une époque où l’objectif principal serait la survie ». Le problème des peines non capitales après une attaque nucléaire est assez délicat, et le ministère de l’intérieur suggère le travail forcé – « travail en communauté » ; la famine – « rations restreintes » ; et les anciens stocks médiévaux – « exposition à la désapprobation du public ». »
Bien que parlant de méthodes assez exceptionnelles (même si peu différentes objectivement d’autres périodes historiques) ce passage traite des crimes et délits. Il ne permet pas d’établir un lien – fait par le film – entre un système de rationnement et une économie de la mort décrite par le narrateur, sur un mode concentrationnaire. Ce qui est présenté à l’écran nous semble avoir des implications bien plus lourdes que des mesures urgentes décrétées par les autorités. On parle quand même d’un système où la mort devient presque un avantage recherché avec cette phrase terrible « …plus il y a de morts, plus il reste de nourriture pour les autres… » L’inquiétude qui peut surgir est celle d’un mélange de possibilités concernant différentes catégories de population et de problèmes en un modèle unique appliqué à toute la population : ce que laisse entendre le narrateur film. Et le film ne fournissant pas de détails de son implémentation : nous allons devoir partir de ce principe.
Étant obligé de mentionner le parti pris de l’auteur sur son propre sujet, dont le résumé en est la meilleure preuve : « Les plans secrets de défense civile prévoient de fermer les routes aux réfugiés, d’interner les manifestants et les pacifistes et de saisir les réserves de nourriture et de carburant. Il n’y aura pas de secours ni d’aide médicale pour les personnes piégées et mourantes à la suite d’une attaque nucléaire. Des millions de personnes mourront dans les zones ciblées par les attaques nucléaires, conséquence directe des politiques gouvernementales en matière de défense civile. » Un postulat imprudent quand le livre lui-même évoque avec force et détails les discussions intensives du gouvernement de l’époque sur l’ensemble des sujets, aussi difficile cela soit-il et la condition de la survie collective. Mais l’ironie la plus criante pour l’auteur est son postulat complotiste d’un gouvernement qui chercherait à organiser un génocide déguisé en cas de conflit nucléaire, sous couvert de plans de contingence, tout en consacrant plus de 400 pages à démontrer tout le contraire, puisque le gouvernement britannique semblait capable de discuter de l’ensemble des sujets. Le fait que des sujets difficiles soient évoqués (comme le besoin de contrôler les flux de réfugiés, par exemple pour ne pas compromettre les récoltes, comme on peut le supposer dans le film) est en fait une obligation pour garantir le bien commun.
Notre crainte : que le film ait suivi ce schéma. Le système de rationnement introduit par le film contraste fortement avec le bon sens et les démarches du gouvernement les jours avant l’attaque :
- Évacuation des hôpitaux pour traiter les blessés après l’attaque
- Déplacement en lieu sûr des véhicules d’urgence
- Diffusion des spots télévisés “Protect and Survive”
- Contrôle des axes prioritaires à travers le pays pour faciliter les transports
- Envoi des consignes nécessaires aux autorités locales
- Arrestation d’agitateurs politiques (Une nécessité en cas de crise grave, la France avait procédé aux arrestations de sympathisants du pacte Germano-Soviétique en 1940 avant la bataille de France, l’Angleterre avait assigné à résidence Oswald Mosley pendant la Seconde Guerre mondiale… des réalités loin des idées complotistes de Duncan Campbell)
Comme indiqué précédemment, nous devrons nous contenter des assertions du narrateur. Mais revenons au sujet principal, le début de la reconstruction des villes.
Cette décision obligera le gouvernement britannique et les RSG à déplacer les matériaux stockés pour cette tâche vers les villes détruites. Il faudra également déployer des soldats pour assister les forces de police locales et faire respecter la loi martiale. Certaines industries stratégiques seront potentiellement re-démarrées si possible, sachant qu’après l’attaque nucléaire, le mot « stratégique » peut englober de nombreuses réalités, comme une boulangerie de campagne pour nourrir les soldats, les survivants et les travailleurs.
Concernant la reconstruction des villes, un sujet nous semble particulièrement essentiel : l’eau. Ce point n’est jamais évoqué dans le film (à la différence de la reconstruction ou de l’agriculture) mais c’est un sujet vital car il faut que la population puisse boire une eau propre et il faut également que les eaux usées fassent l’objet d’un traitement pour éviter la contamination des rivières et les épidémies. Ce sujet concerne l’ensemble du pays, mais plus particulièrement les ensembles urbains ayant fait l’objet de destructions massives. D’après les plans de contingence britanniques de l’époque, il aurait été demandé à la population de stocker de l’eau chez elle. On peut supposer (même si marginal et limité) qu’existe une faible quantité d’eau potable stockée par les autorités (citernes, bouteilles d’eau…), une solution palliative et temporaire. En attendant la remise en route (nécessaire et obligatoire) de certaines infrastructures liées au traitement de l’eau (à minima, les stations de traitement), il va falloir mettre en œuvre des solutions d’urgence. Il en existe plusieurs à cet effet :
- Même si problématique, l’eau de pluie peut faire l’objet de collectes via des citernes, puis faire l’objet d’un traitement
- On peut également utiliser l’eau des rivières, lacs, puits… lorsque cela est possible
- En dernier recours, les eaux stagnantes
Il existe plusieurs techniques “brutes” pour réaliser une purification/traitement d’urgence :
- La plus connue consiste à faire bouillir l’eau pendant plusieurs minutes, mais elle nécessite une source de chaleur
- La deuxième consiste à utiliser des pastilles de purification dont il est difficile de connaître la quantité et la disponibilité dans le Royaume-Uni des années 1980
- La troisième consiste à utiliser de l’eau de javel fortement diluée (2 à 4 gouttes par litres d’eau clair)
Concernant le traitement des eaux usées, il s’agit d’un enjeu majeur de santé publique (plus particulièrement ce que l’on appelle pudiquement “les eaux noires”). Si le système du tout-à-l’égout est compromis, il faut impérativement organiser :
- La mise en oeuvre de latrines sèches là où c’est possible, et ne pas rejeter ces déchets dans la nature ou dans une rivière, ni procéder à un enfouissement dans le sol
- La mise en oeuvre de fosses septiques rudimentaires
Toutes ces solutions sont évidemment palliatives, et ne compenseront pas la nécessité de remettre en route un système de tout-à-l’égout (ou à minima de latrines sèches collectives dans le pire des cas) et surtout la mise en place d’un réseau fonctionnel d’eau potable (même avec rationnement/distribution via des bouteilles/jerricans/citernes).
Les opérations militaires constitueront une priorité absolue. Les soldats seront chargés assez rapidement de contrôler les foules et d’arrêter les pilleurs à mesure que les dépôts alimentaires urbains seront épuisés. Le transport (principalement par route) sera complexe en raison des destructions. Si l’on estime que 8 000 barils par jour sont désormais utilisés par les groupes électrogènes à travers le pays, les efforts de reconstruction et de redémarrage des infrastructures critiques, il reste 12 000 barils par jour. Même avec l’ampleur des destructions et des EMP, il est très peu probable qu’aucun véhicule ne survive. Le film montre également des moissonneuses-batteuses, des tracteurs et même un avion après l’attaque nucléaire. L’idée selon laquelle tous les véhicules sont soudainement devenus obsolètes n’est donc pas fondée. Sur la base de données historiques portant sur 20 millions de voitures particulières au Royaume-Uni dans les années 80, nous pouvons imaginer que 1 à 2 % des véhicules d’avant-guerre, soit 200 000 à 400 000 véhicules, avec un point médian de 300 000 véhicules (pour la plupart des véhicules civils, mais aussi des camions militaires et d’urgence, des véhicules agricoles) fonctionnent toujours dans l’ensemble du Royaume-Uni, mais dans des conditions critiques.
Partant du fait qu’environ 20 millions de personnes (soit 35 % de la population d’avant-guerre) sont mortes immédiatement à cause de l’attaque nucléaire (d’après mes propres estimations issues d’un précédent travail sur le sujet disponible ici sur Médium), laissant 36 millions de survivants, cela signifie que nous aurons un véhicule pour 120 personnes, mettant beaucoup de pression sur ce qui reste et conduisant à une sur-utilisation rapide; contre un véhicule pour 3 personnes avant la guerre. Mais comme pour le carburant, nous aurons un écart important entre la valeur théorique et la réalité.
Pour estimer ce qu’il fallait pour faire fonctionner les voitures, j’ai pris deux véhicules emblématiques du Royaume-Uni des années 80 : le Vauxhall Cavalier et le Humber Pig. Le premier consomme environ 8 litres aux 100 kilomètres, tandis que le second consomme environ 20 litres aux 100 kilomètres (utilisation en temps de paix).

Cela se traduit respectivement par 0,05 et 0,125 barils par jour. La première chose à faire est une moyenne pondérée. Je pense que parmi tous ces véhicules, 75 % étaient des voitures personnelles et 25 % des militaires/d’urgence/de transport. Cela nous donne 0,068 baril par jour. Les véhicules vont subir pendant longtemps des conditions critiques : sur-utilisation, « stop and go », surcharge, détours…
Disons que ces quatre problèmes représentent individuellement 30%, 25%, 50% et 30% de la consommation initiale soit 0,0204, 0,017, 0,034 et 0,0204 barils par jour. Si vous les additionnez, cela représente une utilisation de 0,0918 barils par jour. Désormais, la valeur du baril par jour est de 0,1598.
De nombreux autres facteurs contribueront probablement à cette augmentation : le mauvais état des routes, la dégradation mécanique et la baisse de la qualité du carburant. Disons que ces trois autres problèmes représentent individuellement 35%, 30%, 50% du taux de consommation initial soit 0,0238, 0,0204 et 0,034 barils par jour. Ces difficultés pourraient totaliser 0,0782, avec une valeur actualisée de 0,238 barils par jour.
Au début, la consommation de base était représentative d’un usage en temps de paix et de petites distances. Une distance plus longue (ajoutée aux contraintes précédentes) peut doubler l’utilisation en temps de paix. Ajoutons le taux de consommation initial à la valeur précédente. On obtient finalement 0,306 baril par jour et par véhicule. Soit environ 48 litres.
Outre les défis évoqués précédemment, cette valeur (aussi élevée soit-elle) doit également tenir compte de l’inégalité probable du parc de véhicules (véhicules plus gros/plus petits, mal entretenus…) et de l’accent probablement mis sur les camions militaires/lourds. Il faut également se représenter les problèmes évidents de logistiques qui vont survenir avec cette essence, dont l’absence probable de stations services fonctionnelles dans de nombreuses parties du territoire du Royaume-Uni. C’est d’ailleurs ce qu’illustre cette carte des autoroutes britanniques de 1983 combinée à la liste des cibles potentielles : le réseau autoroutier n’est probablement plus fonctionnel après l’attaque du 26 Mai 1984.

La majorité des autoroutes passent dans ou à proximité immédiate des grandes conurbations et ensembles urbains détruits après l’attaque. Des endroits déjà confrontés à des défis logistiques et humanitaires conséquents. Le coût des opérations de transport ne peut qu’augmenter dans ce contexte, le recours aux voies secondaires étant non seulement une nécessité mais probablement une obligation dans de nombreux secteurs. Le réseau ferré britannique est probablement en piteux état également en témoigne le croisement de la carte des impacts urbains et militaires avec cette carte des chemins de fers britanniques de 1982. Tout cela ne peut qu’accroître les contraintes logistiques des autorités dans notre contexte.

Comme lors de notre précédentes discussions sur les générateurs : ces chiffres servent avant tout à faire “peser des contraintes” sur notre stock fictif (une façon de penser comme des planificateurs qui préfèrent additionner les contraintes mêmes théoriques ou peu probables, ou lorsque l’on fait des prévisions financières où les pertes sont parfois surévaluées de façon à trouver le point d’équilibre dans des conditions précaires) et à fournir une armature à notre analyse sur l’année qui a suivi l’attaque sur le Royaume-Uni. Et comme indiqué précédemment avec les générateurs : les ratios exacts de consommation ou le nombre d’unités (barils, véhicules…) ne seront pas déterminants pour comprendre ce qui est arrivé après l’attaque.
Faire fonctionner 300 000 véhicules coûtera 92 000 barils par jour alors que, en raison des restrictions de carburant et des problèmes logistiques dans le Royaume-Uni d’après-guerre nucléaire, la valeur disponible est plus proche de 6 000 barils par jour. Cela signifie que seuls 20 000 véhicules seront utilisés au Royaume-Uni (0,30 baril par jour/véhicule). Le ratio est en réalité de 1 800 personnes par véhicule.
Même si le film Threads ne le montre pas, faire autrement est impossible, en raison de la nécessité cruciale, lors de la reconstruction, de rétablir les transports, la logistique, les opérations militaires… Cela laisse 6 000 barils par jour comme stock régulateur pour tenir compte de l’utilisation inégale du carburant en ces temps troublés et en évolution rapide; et le coût croissant de la pré-récolte.
Points clés intermédiaire de la période :
- Etablissement d’un recensement du parc automobile disponible et réquisitions du matériel disponible/fonctionnel
- Établissement de flux/ponts logistiques même précaires entre les régions clés du Royaume-Uni
- Mobilisation de la population pour les travaux de reconstruction
…Un exode croissant des villes à la recherche de nourriture. Nous sommes en juillet…

En raison de l’épuisement des stocks alimentaires urbains, nous assistons à un exode des villes à partir de 5 semaines après l’attaque, où des millions de personnes, désespérées et affamées, se déplacent vers les petites villes et les campagnes à la recherche de nourriture. Mais il faut le comprendre en ayant bien connaissance du mécanisme introduit plus haut par le film : « travail-contre-nourriture ». Si les dépôts alimentaires sont presque vides, faut-il également comprendre que le système mis en place par le narrateur commence à montrer ses premiers signes de faiblesse ? Le système décrit plus haut ne semble pas totalement priver la population trop faible ou vulnérable pour travailler de nourriture. Par contre, il est possible qu’à peine le minimum soit fourni, entraînant la migration des villes vers la campagne. Au vu du descriptif fait par le narrateur du système de rationnement en place, les injustices sont probablement légions. D’ailleurs, ce qui apparaît à l’écran signe les premiers échecs de la politique en œuvre, en témoigne les arrestations croissantes de pillards et la mise en place de cours martiales quatre semaines à peine après l’attaque nucléaire sur le Royaume-Uni.

Peu avant de décéder dans leur bunker, les responsables du district de Sheffield dans le film ont une dernière discussion intéressante concernant la nourriture. Les difficultés en approvisionnement sont réelles. La proposition de l’officier médical est sans appel : “Nous devrons réduire leurs rations. J’y ai réfléchi. Mille calories pour les travailleurs manuels et 500 pour les autres.”
Selon les données historiques britanniques de 1983, 44 millions de personnes vivaient dans les villes et 12 millions à la campagne.
Dans Threads, de nombreuses personnes quittent les villes avant la guerre nucléaire. Disons 2 millions à travers le Royaume-Uni, nous avons maintenant 42 millions de personnes dans les villes et 14 millions à l’extérieur.
Si la totalité des 20 millions de morts suite à l’attaque nucléaire étaient localisés dans les villes (soit 47 % de la population des villes), il y aurait toujours 22 millions de personnes dans les villes et 14 millions de personnes à l’extérieur. Disons que l’exode a commencé lentement après la fin du couvre-feu le 10 juin 1984, s’est considérablement accru 5 semaines après l’attaque et a complètement cessé lorsque les récoltes ont commencé.
En moyenne sur 104 jours, cela représente 211 000 personnes par jour. L’exode lors de la bataille de France (10 mai au 25 juin 1940, soit 74 jours) verra 10 millions de personnes (sur 40 millions de personnes) sur la route fuyant l’avancée de l’armée allemande, soit 135 000 personnes par jour. Parmi tous ces gens qui quittent les villes, beaucoup mourront en route.
La carte intertitre quelques secondes avant les scènes de récolte indique qu’entre 17 et 38 millions de personnes sont mortes suite à l’échange nucléaire (explosion, chaleur, retombées…). Cela représente beaucoup de monde. Le chiffre étant conséquent (38 millions de personnes, cela représente 70% de la population d’avant guerre). Compte tenu du chaos total, on peut en déduire que l’armée sera envoyée d’urgence pour réprimer l’exode.
Certains moteurs-générateurs à travers le Royaume-Uni commencent à tomber en panne, la reconstruction des villes s’essouffle et le carburant est ré-acheminé pour gérer la crise : avions et hélicoptères pour suivre les mouvements des personnes et demander aux réfugiés de rebrousser chemin, barrages routiers pour arrêter ou limiter l’afflux de réfugiés dans les campagnes…
Quand on sait que les planificateurs britanniques du plan d’urgence en cas de guerre nucléaire étaient (c’est le moins que l’on puisse dire) sceptiques quant à l’aide aux réfugiés, on peut imaginer à quel point l’exode a été violent. Mais les autorités seront confrontées à de dures réalités : laisser mourir tous ceux qui se trouvent sur la route mais aussi submerger les campagnes, ou maintenir l’ordre et « gérer » l’exode.

D’après ce que nous voyons à Buxton dans le film, la deuxième option fut probablement celle choisie. Une situation qui toutefois semble relever du pragmatisme local et dont la portée universelle n’est pas garantie.
Une situation qui s’écarte des dispositions du plan d’urgence en cas de départ des personnes de leur lieu de vie : il était prévu qu’aucun abri ni nourriture ne soit fourni. Cela pourrait expliquer le décalage entre les deux seules émissions gouvernementales entendues dans le film. La première émission a exhorté tout le monde à se déplacer vers les points désignés pour commencer la reconstruction. La deuxième émission montre une nette évolution vers la production agricole. Cette situation s’appuie sur de nombreux précédents historiques où les autorités ont dû adapter leur plan à la réalité. Un bon exemple est l’opération Hannibal lors de l’effondrement de l’Allemagne nazie en 1945. Jusqu’au bout, les autorités ont refusé par tous les moyens d’évacuer les civils (même les enfants) de Prusse orientale, assimilant ces actions à une désertion. Mais finalement, contre leur gré, ils ont dû évacuer 1 million de civils.
Même si cela n’est pas décrit dans le film, il est obligatoire qu’une pré-récolte ait été organisée par les autorités, au cours de cette période, avant la récolte dans le but de préparer les champs avec des directives impliquant : l’élimination de la poussière des retombées (on estime parfois qu’il faut retirer jusqu’à 10 cm du sol dans ce cas – même si cette mesure aurait été probablement très exceptionnelle voir anecdotique vu son coût logistique et agricole), l’enlèvement des cadavres de bétail pour éviter une contamination supplémentaire, l’établissement – même si cela aurait été difficile – de cartes de contamination des sols et également la préparation des machines nécessaires au traitement de la récolte. Un effort organisé probablement dès la levée du couvre-feu, donc les semaines suivantes. Ce besoin obligatoire d’organiser une pré-récolte implique donc logiquement que des personnes (militaires, experts agricoles, fonctionnaires…) et du matériel (essence, matériel pour évaluer les radiations…) soient déplacés logiquement vers les territoires agricoles du Royaume-Uni très tôt et en grand nombre. La géographie du Royaume-Uni nous permet d’identifier plusieurs régions agricoles clés (ici pour l’Angleterre et le Pays de Galles en 1985) :

Identifiée par une ligne noire en pointillée : les plaines céréalières du Royaume-Uni, d’importances probablement vitales pour le gouvernement fictionnel dans le film. Le système de « grade » pour la qualité des sols est propre au Royaume-Uni. Il fonctionne ainsi :
- Les terrains de catégorie 1, 2 et 3 sont considérés comme les « meilleurs et les plus polyvalents » et bénéficient d’une protection importante contre le développement; ces terres sont majoritairement à l’Est de l’Angleterre
- Les classes 4 et 5 sont décrites comme des terres agricoles de mauvaise qualité et des terres agricoles de très mauvaise qualité
Toutes ces choses nécessitent probablement du carburant. En raison des nombreux défis logistiques et de la crise de l’exode qui exerce une forte pression sur les campagnes, les efforts seront probablement minimes. Mais le film nous montre que le pays a continué à vivre une décennie après l’attaque, et cela implique un effort préalable dans le domaine agricole (semences, bétail…) lors de l’année qui a suivi l’attaque.

Si cela avait dû arriver, on aurait assisté dans de nombreuses régions agricoles clés du Royaume-Uni à ce défilé progressif de véhicules, soldats et experts agricoles envoyés sur place pour réaliser des opérations agricoles clés pour sauver ce qui pouvait l’être encore de la récolte à venir.
Concernant l’essence, le Royaume-Uni était un très grand producteur de pétrole pendant les années 1980 grâce au pétrole de la Mer du Nord. L’inconvénient est que l’ensemble de ce potentiel était essentiellement situé assez loin des côtes britanniques, notamment près des côtes écossaises.

Le Royaume-Uni possédait également quelques gisements sur son sol, notamment à Wytch Farm dans le Sud-Ouest depuis les années 1970, et des développements étaient en cours depuis le début des années 80 dans la région de Nottingham et du Lincolnshire. Le Royaume-Uni produisait également du gaz, dont les gisements étaient quant à eux plutôt proches des côtes de l’Est de l’Angleterre. Comme mentionné avec la carte ci-contre. Il serait peu sérieux d’imaginer que les autorités n’auraient pas tenté de remettre en service les nombreux pipelines ou communications avec ces stations de forages gaziers/pétroliers.

Les terminaux pétroliers dans le Nord de l’Ecosse auraient logiquement posés des problèmes logistiques majeurs pour leur remise en route car très éloignés des régions urbaines de Glasgow et d’Edimbourg. La logique aurait été donc de se concentrer dans cette région urbaine pour redémarrer/réparer certaines infrastructures. Par contre, le terminal pétrolier du Teesside et les terminaux gaziers de l’Humberside, Lincolnshire et de Norfolk s’inscrivent très logiquement dans le cadre de re-développement d’infrastructures critiques dans une région stratégique sur le plan agricole. De même, la remise en route des puits de la région de Wytch Farm semble cruciale, la zone étant capable à l’époque d’assurer potentiellement plusieurs milliers de barils de pétrole. Un montant dérisoire en temps de paix, mais crucial dans le contexte de cette première année et également pour la décennie suivante. On pourrait donc supposer, notamment du fait des contraintes de nourrir une population substantielle une décennie plus tard qui impliquerait des machines agricoles, une production même minimale d’essence (250-500 barils/jour par exemple) progressivement re-développée au cours de la décennie. Au terme de ces 3 mois et demi, il ne reste plus que 6,7 millions de barils.
Points clés de la période :
- Gestion nécessaire de la crise de l’exode et probablement provisions d’urgence (notamment, abandon du refus d’accueillir des personnes non-domiciliées dans les villes/villages concernés)
- Projection logistique de personnels (militaires, fonctionnaires, experts…) et matériels (essence, machines…) vers les zones agricoles clés du Royaume-Uni, dans cet ordre prioritaire : Est de l’Angleterre (plaines céréalières et nombreuses cultures vitales), Région d’Edimbourg en Ecosse (orge, pommes de terres…), Hereford-Worcester (mixte), Kent (fruits), Sud-Ouest de l’Angleterre (élevage)
- Conscription de la population rurale et des réfugiés urbains pour organiser les premiers travaux agricoles critiques : établissement de cartes radiologiques, nettoyage des sols, recensement du bétail, retrait des cadavres d’animaux, récolte des produits mûrs et consommables, préparation du matériel agricole…
- Travaux vitaux de remise en route des infrastructures pétrolières viables, avec des efforts concentrés dans le Sud-Ouest (puits pétroliers de Wytch Farm) et si possible travaux de remise en route des pipelines/raffineries pour obtenir du pétrole depuis la Mer du Nord
« Première récolte post-guerre nucléaire » 23 septembre 1984 au 22 décembre 1984
…Si nous voulons survivre à ces premiers mois difficiles et établir une base solide pour le redéveloppement de notre pays, nous devons alors concentrer toutes nos énergies sur la production agricole… Récolter cette première récolte diminuée est désormais littéralement une question de vie ou de mort. Les pénuries chroniques de carburant signifient que cela pourrait être l’une des dernières fois où les tracteurs et les moissonneuses-batteuses seront utilisés en Grande-Bretagne…

Quatre mois après l’attaque nucléaire, les premières récoltes de l’après-guerre nucléaire ont commencé. Le gouvernement britannique, les RSG et l’armée comprennent parfaitement qu’il n’y a pas de place pour l’échec. Outre le recours massif aux réfugiés des villes (ce qui n’était probablement pas l’intention initiale des autorités, mais cela arrive car beaucoup d’entre eux se sont installés vers les campagnes lors de l’exode), on peut supposer que les autorités assureront à tout prix le succès de la récolte, même si cela implique de réduire la pression sur le contrôle des stocks de carburant.
Étude de cas avec l’Ecosse. La région est importante pour les céréales mais relativement excentrée de l’Angleterre et excentrée du cœur agricole britannique dans l’Est. Voici une carte qui décrit un fiasco logistique et bureaucratique type qui peut arriver dans le pire des cas. Ici : cas de figure avec coordination nationale. Le QG gouvernemental envoyant aux différentes régions une demande pour connaître les besoins en essence, machines et personnels. Une information à communiquer à échéance précise pour organiser la logistique. L’Ecosse dans notre cas établit un prévisionnel optimal et le transmet au QG. Peu avant l’échéance, le QG revient vers l’Ecosse pour s’accorder. Problème : la ou les personnes en charge ne sont pas là, et la réponse est attendue ce jour. La personne au téléphone ne connaît pas le sujet, tergiverse, demande un délai qui lui est refusé, cherche dans les documents à sa disposition… En face, le ou les agents du QG peuvent en jouer inconsciemment pour avancer leurs intérêts aussi dans un contexte critique. Résultat ? L’accord final est inférieur aux estimations sur plusieurs points critiques, mais le matériel, ainsi que l’essence et le personnel sont mis à disposition et vont partir vers l’Ecosse. Nouveau problème : la grande conurbation des Midlands est détruite rendant le réseau autoroutier impraticable. Seul chemin : l’Est-Anglie puis longer la côte Est. Les problèmes émergent sur le terrain : désaccords, difficultés avec le flux de réfugiés, pertes d’essences, vols, retards… L’accord obtenu était déjà de mauvaise qualité, l’Ecosse va finalement se retrouver avec moins que ça.

Il est assez ironique de voir que lors de la seule et dernière récolte organisée par le gouvernement dans le film, les gens ne travaillaient qu’à mains nues pour collecter de la nourriture, alors qu’ils travaillaient tous avec des outils et même des lunettes de protection 1 an et 10 ans plus tard. Tous ces indices laissent présager d’une récolte désespérée, désorganisée et inefficace. Sur le plan sociétal, les choses sont en pleine dégradation à l’écran lors de la récolte. Des personnes tombent d’épuisement au sol sans recevoir de l’aide, Ruth elle-même est abandonnée et doit accoucher seule, et les survivants travaillent sous étroite surveillance militaire. Cela ne semble pas présager d’un dénouement heureux.
La récolte a lieu en essayant de faire fonctionner les générateurs restants à travers le pays pour maintenir en vie les quelques infrastructures critiques en voie de disparition. Faire fonctionner tous les tracteurs et moissonneuses-batteuses disponibles nécessitera beaucoup de carburant. Il est également important de noter que dans les années 80, le Royaume-Uni comptait une population estimée à 350 000 tracteurs de tous types, moissonneuses-batteuses et bien d’autres équipements agricoles. Même si les campagnes ont été en partie épargnées par les retombées radioactives, les destructions et les EMP, il est peu probable que tous ces véhicules soient en état de fonctionner.

Un nombre indéterminé de survivants de l’attaque nucléaire sont morts lors de la crise de l’exode des mois précédents (famine, violence, maladies, maladie des radiations, blessures, brûlures au troisième/quatrième degré…), le film ne fournissant aucun décompte précis. Il est donc peu probable que les survivants puissent faire fonctionner toutes les machines. Mais cela implique que les autorités devront encore compter sur des véhicules pour cette récolte. Et contrairement aux voitures dont la consommation se mesure en litres aux 100 km, la consommation de carburant des véhicules agricoles se mesure en général en litres par heure. À titre de référence, un tracteur de taille moyenne peut éventuellement nécessiter 0,1 baril par heure. Si l’on extrapole cette valeur à l’ensemble des véhicules agricoles dans notre cas (ce qui n’est absolument pas nécessaire bien sûr, mais permet d’illustrer le point), elle s’élève à 35 000 barils par heure et 280 000 barils par jour (8 heures). Un montant qui dépasse l’imagination dans un monde d’après-guerre nucléaire.
La scène de la récolte impliquant une moissonneuse-batteuse, et donc des céréales, doit donc se dérouler logiquement dans l’Est du Royaume-Uni. Voici une carte qui présente où ont majoritairement lieues les cultures de céréales (blé à gauche et et orge à droite) au Royaume-Uni (cartes du Agriculture and Horticulture Development Board) :

La scène pourrait donc impliquer logiquement une migration de Ruth depuis Buxton en direction de l’Est du pays, la région de Buxton étant uniquement dédiée aux pâturages. Le blé et l’orge sont généralement récoltés entre Juillet et Août au Royaume-Uni. Le retard de la récolte dans le film témoigne de cette importante désorganisation. L’importance stratégique de l’Est de l’Angleterre est clairement illustrée par cette carte sur le positionnement des racines/tubercules/blé/orge au Royaume-Uni :

Pour rappel, une réalité décrite déjà plus haut dans cette carte de 1985 sur la qualité des sols au Royaume-Uni (Angleterre et Pays de Galles) pour un usage agricole :

Le système de « grade » pour la qualité des sols est propre au Royaume-Uni. Il fonctionne ainsi :
- Les terrains de catégorie 1, 2 et 3 sont considérés comme les « meilleurs et les plus polyvalents » et bénéficient d’une protection importante contre le développement; ces terres sont majoritairement à l’Est de l’Angleterre
- Les classes 4 et 5 sont décrites comme des terres agricoles de mauvaise qualité et des terres agricoles de très mauvaise qualité
En lien avec la discussion plus haut que le besoin d’organiser des efforts de remédiation contre les radiations dans les zones agricoles majeures, voici une visualisation des conséquences de frappes nucléaires au sol (ou “groundburst”) et plus particulièrement dans les terres la plus arables du Royaume-Uni, voici une visualisation des tracés potentiels avec NUKEMAP et quelques cibles symboliques dans l’Est de l’Angleterre et une carte des vents associée (j’ai choisi volontairement le mois de Mai pour coller à la date de l’attaque dans le film, même si bien entendu les vents peuvent fortement varier en fonction des mois de l’année) :

Les bombes utilisées sont de l’ordre de 500 kilotonnes. Cette valeur correspond aux armes de petite taille identifiées dans le cadre de l’exercice Square Leg organisé en 1980 par les autorités britanniques. NUKEMAP utilise un modèle très simplifié (les retombées ne suivent jamais une ligne droite et un tracé aussi précis), mais cela nous donne une idée générale. Dans la pratique, cela ressemble plutôt à quelque chose en ellipse comme avec les effets du test nucléaire “Castle Bravo”.

On constate que le pattern le plus grave de 1000 rads – une dose mortelle en cas d’exposition – est relativement limité (les traits les plus rouges foncés sur la carte). Le plus gros de l’impact pourrait être aux alentours de 100 rads si on se base sur ce modèle simplifié. En notant qu’il ne s’agit ici que la dose potentiellement absorbée : on ne parle pas de la contamination radioactive du sol. En général, on estime que :
- Une dose inférieure à 100 rad n’entraîne généralement pas de symptômes immédiats autres que des modifications sanguines
- Une dose de 100 à 200 rad délivrée à l’ensemble du corps en moins d’une journée peut provoquer un syndrome d’irradiation aiguë (SIA), mais n’est généralement pas mortelle
- Des doses de 200 à 1 000 rad délivrées en quelques heures provoquent des maladies graves, avec un pronostic défavorable dans la partie supérieure de la fourchette
- Les doses au corps entier supérieures à 1 000 rad sont presque toujours mortelles
La taille des armes utilisées joue également sur l’ampleur des retombées potentielles. Voici un résultat avec des armes plus “légères” de 250 kilotonnes, avec des résultats assez similaires.

Quant à savoir ce qu’il en aurait été au sol, cela est une autre histoire. Mais au vu de la valeur agricole de cette région, il semble logique que les autorités y aient concentré le maximum de leurs forces pour sauver ces terres arables. Pour rappel : le film nous montre une récolte avec une moissonneuse batteuse, le gouvernement diffuse un message demande urgemment aux survivants de participer aux travaux agricoles et le gouvernement implémente un programme impliquant un contrôle social en lien avec la distribution alimentaire.
Le Royaume-Uni possède une contrainte inhérente à sa géographie qui aurait poussé à des efforts conséquents : c’est un pays relativement petit et très compact. Le Royaume-Uni possède des surfaces agricoles productives mais relativement limitées en taille et en répartition géographique. Cette statistique de 2024 sur la production céréalière britannique (et plus particulièrement le blé) est révélatrice : la majeure partie de sa production est concentrée à l’Est du pays.


A cet effet, voici une synthèse des terres agricoles en Angleterre en Juin 1983 au regard de produits agricoles majeurs (céréales, légumes, pommes de terre et betterave) pour les comtés britanniques de l’Est. Céréales (3,3 millions hectares en Juin 1983) :
- North Yorkshire : 189716 hectares
- Humberside : 178257 hectares
- Lincolnshire : 291423 hectares
- Norfolk : 219837 hectares
- Suffolk : 183857 hectares
- Essex : 167774 hectares
- Kent : 93431 hectares
- Cambridgeshire : 179817 hectares
- Nottinghamshire : 80127 hectares
- Northamptonshire : 96674 hectares
- Hertfordshire : 62552 hectares
- Bedfordshire : 57995 hectares
Total : 1,8 million hectares (54% de la surface d’Angleterre). Légumes – hors pommes de terre – (140 000 hectares en Juin 1983) :
- North Yorkshire : 2557 hectares
- Humberside : 11783 hectares
- Lincolnshire : 34266 hectares
- Norfolk : 19206 hectares
- Suffolk : 9991 hectares
- Essex : 6427 hectares
- Kent : 7139 hectares
- Cambridgeshire : 11161 hectares
- Nottinghamshire : 2079 hectares
- Northamptonshire : 238 hectares
- Hertfordshire : 851 hectares
- Bedfordshire : 3908 hectares
Total : 103 000 hectares (73% de la surface d’Angleterre). Pommes de terre (141 000 hectares en Juin 1983) :
- North Yorkshire : 12273 hectares
- Humberside : 7884 hectares
- Lincolnshire : 20065 hectares
- Norfolk : 12406 hectares
- Suffolk : 4038 hectares
- Essex : 5578 hectares
- Kent : 5951 hectares
- Cambridgeshire : 12653 hectares
- Nottinghamshire : 4976 hectares
- Northamptonshire : 1295 hectares
- Hertfordshire : 702 hectares
- Bedfordshire : 1202 hectares
Total : 84 000 hectares (59% de la surface d’Angleterre). Betterave sucrière (198 000 hectares in Juin 1983) :
- North Yorkshire : 12880 hectares
- Humberside : 9655 hectares
- Lincolnshire : 33021 hectares
- Norfolk : 58670 hectares
- Suffolk : 24694 hectares
- Essex : 4685 hectares
- Kent : —
- Cambridgeshire : 23851 hectares
- Nottinghamshire : 8156 hectares
- Northamptonshire : 632 hectares
- Hertfordshire : 289 hectares
- Bedfordshire : 509 hectares
Total : 177 000 hectares (93% de la surface d’Angleterre). Si ces terres sont négligées ou abandonnées, cela veut dire que la Royaume-Uni perd la plupart de ses céréales, pommes de terre et quasiment l’ensemble de ses légumes et betteraves. Une primauté de l’Est de l’Angleterre (et du Royaume-Uni en général) très bien représentée par cette carte de l’utilisation des sols du Royaume-Uni avec la concentration massive des cultures arables à l’Est du pays (Est de l’Angleterre, Kent et région d’Edimbourg).

Pour conclure, voici une carte de l’Est de l’Angleterre soumise à des impacts basés sur l’exercice Square Leg (1980). Un cas extrême mais illustratif. L’idée étant d’identifier les efforts de remédiation les plus logiques en rouge : autour de la région du Fens, de Norfolk sur la côte notamment et le long de la côte jusqu’au Yorkshire. Un travail vital à la fois pour préserver les sols mais également les cultures. En noir l’abandon de regions à considérer comme non-prioritaires.

Pour conclure, il est important de discuter des nucléides. Il s’agit tout simplement de particuliers/matériaux radioactifs (césium-137, strontium-90, iode-131…) qui risquent de compromettre la viabilité des aliments. Il faut donc distinguer les aliments concernés, l’impact potentiel et les mesures de remédiation :
- Céréales : impact modéré à élevé, contamination principalement des racines et de l’enveloppe, il est recommandé de nettoyer/raffiner davantage les grains
- Légumes-feuilles : impact élevé, contamination directe, il est recommandé de les nettoyer abondamment et de retirer autant que possible les parties externes
- Légumes-racines : impact modéré, consommation risquée, il est recommandé de pratiquer le lavage, l’épluchage “profond” et la cuisson systématique
- Fruits : impact modéré, consommation risquée, mêmes méthodes que pour les légumes-racines, mais le risque de contamination des parties “internes” persiste
- Lait : impact élevé, consommation très risquée, il faut impérativement transformer le lait via la fabrication de fromages avec affinage long
- Viandes : impact modéré à élevé, peu de solutions si ce n’est évitement des muscles (“dégraissage”) ou attente
Ce problème de localisation des scènes – et donc de l’incohérence agricole du film – est démontrée par le croisement de cette carte des sols britanniques de 1985 et la localisation approximative des scènes après l’attaque et 10 ans plus tard :

Les scènes se déroulent selon le film dans les zones dont le sol est le plus pauvre et le moins adapté aux cultures. Mais revenons au sujet principal. Vous devrez également redémarrer certaines usines de transformation alimentaire, même des choses simples comme un moulin à grains. Les forces militaires, profondément impliquées dans le maintien de l’ordre et la surveillance du bon déroulé des travaux, principalement dans les campagnes, auront besoin de carburant. Cela pourrait être l’un des derniers épisodes de « consommation massive » de carburant au Royaume-Uni en raison du besoin existentiel de récolter de la nourriture, avec jusqu’à 53 % du stock restant utilisé sur une période de trois mois, soit 3,6 millions de barils, soit 40 000 barils par jour, ce qui signifie que les tracteurs et les moissonneuses-batteuses peuvent être utilisés en plus grand nombre que prévu. Les générateurs et ce qui reste des infrastructures ne consomment probablement plus que 3 000 barils par jour. Les véhicules non agricoles (la plupart destinés à un usage militaire ou logistique) devraient toujours consommer 5000 barils par jour. Avec la désertion des villes suite à l’exode massif et la nécessité de concentrer toutes les énergies vers la production agricole, la plupart d’entre elles se retrouvent abandonnées et sans électricité. Ce qui laisse 32 000 barils par jour pour les tracteurs, les moissonneuses-batteuses, les autres machines agricoles et le coût de fonctionnement de ce qui reste des unités de transformation alimentaire; ce qui signifie que peut-être 40 000 véhicules agricoles pourraient être utilisés (0,8 baril par jour/véhicule agricole).. En comparaison du nombre de véhicules agricoles britanniques, ce chiffre théorique représente moins que le seul total de l’ensemble des moissonneuses batteuses en 1983 pour l’Angleterre, le Pays de Galles et l’Ecosse (54 775 véhicules au total) :

Enfin, des efforts sont nécessairement organisés pour préparer la prochaine récolte. Après 90 jours, 3,2 millions de barils sont encore disponibles.
Points clés de cette période :
- Incorporation progressive (et nécessaire) de la population urbaine réfugiée au monde rural par participation à l’ensemble des travaux agricoles; une nécessité pour garantir une transition fluide la décennie suivante
- Montée en puissance progressive d’une organisation davantage décentralisée pour garantir la capacité à disposer d’une gouvernance en cas de défaillance de l’Etat central; avec maintien des capacités à se coordonner de manière suprarégionale (un point critique pour les récoltes dans un contexte de spécialisation régionale)
- Concentration d’expertises, de compétences institutionnelles et de la population dans les zones clés sur le plan agricole/industriel, et formation des hubs logistiques au croisement des capacités industrielles/agricoles/énergétiques; hubs pouvant logiquement devenir des “points-relais” dans un contexte de dégradation de l’appareil étatique
- Sur le plan énergétique, avec l’arrivée prochaine de l’hiver : nécessité de la remise en route d’une production charbonnière même minime
« Premier hiver post-guerre nucléaire » 23 décembre 1984 au 28 mars 1985
…Au cours des premiers hivers, de nombreux jeunes et vieux disparaissent de Grande-Bretagne…
Ensuite, nous avons le premier hiver après la guerre nucléaire. En raison de l’effet prolongé de l’hiver nucléaire, la baisse de température est plus importante que d’habitude, entraînant de nombreux décès. Ces décès entraîneront probablement une baisse importante de la consommation de carburant, car de nombreuses activités ne sont pas durables sans une main d’œuvre minimale. La pénurie chronique de carburant suite à la « consommation massive » de carburant lors de la récolte signifie que de nombreux systèmes sont mis hors d’usage. Le transport sera difficile sans déneigement. De nombreux générateurs d’avant-guerre ne sont probablement même plus utilisés. Il y a probablement plus ou moins 100-150 générateurs à travers le pays, consommant 2 000 barils par jour. Ainsi, le Royaume-Uni est probablement « en sommeil », car il est peu probable que les gens travaillent (la récolte étant terminée), mais normalement l’activité humaine doit reprendre progressivement avec la fin de l’hiver, et le besoin de reprendre certains travaux agricoles (mais avec un stock d’essence fortement diminué et compromis). Le chiffre pourrait se situer autour de 20 000 barils par jour. Pendant ces 95 jours, 1,9 million de barils sont utilisés. Le stock restant est estimé à 1,3 millions de barils.
Points clés de la période :
- Seuil critique pour une reprise de la production pétrolière, une nécessité pour la récolte à partir de 1985, le système agricole n’étant pas en capacité de transitionner brutalement vers des récoltes manuelles (notamment pour les céréales); production pétrolière en cours de consolidation/augmentation pour l’été 1985
- Introduction progressive de techniques manuelles pour économiser l’essence (“hoe-farming” et éventuellement traction animale dans les régions où cela est déjà possible) en vue de la récolte de l’été 1985
- Reprise des travaux agricoles avec un meilleur respect du calendrier agricole (nécessite de retrouver un cycle agricole normal)
- Consolidation des formes de gouvernance alternatives à l’Etat central (pôles régionaux, potentiels états résiduels…)
« Effondrement de la gouvernance centralisée » du 29 mars 1985 au 26 mai 1985
Cette scène de Threads commence par un télex indiquant que nous sommes 10 mois après l’attaque. La scène commence avec plusieurs gros plans sur des stocks de blé et un soldat à l’intérieur d’une grange surveillant la récolte, puis vous entendez des coups de feu, Ruth et d’autres personnes s’enfuient avec des céréales, vous pouvez entendre un soldat depuis un hélicoptère demander aux gens de revenir et tirer, puis vous voyez Ruth pleurer et essayer désespérément d’écraser des céréales pour nourrir son bébé. La scène est ambiguë, mais on pourrait en déduire que la récolte est soit sévèrement rationnée, soit non distribuée (probablement parce qu’il n’y a pas assez de nourriture pour tout le monde) et que par conséquent les gens ont recours au vol pour se nourrir. Le film ne dit rien à ce sujet, mais mon opinion personnelle est que la récolte est un échec irrémédiable, donc ce qui suit est basé sur cette hypothèse.

Parallèle avec “l’année sans été” (1816)
L’échec de la récolte devenant évident pour tout le monde et les autorités étant dans l’impossibilité de distribuer autant de nourriture que nécessaire aux gens, il est possible que des désertions et des désobéissances massives se produisent parmi les civils refusant de participer au système de travail forcé, car les autorités ne peuvent plus fournir ce qui servait d’incitation pour forcer les gens à travailler : la nourriture. Pour comprendre à quel point la récolte a été un échec irrémédiable, il faut comprendre que la production céréalière d’avant-guerre était de 22 millions de tonnes en 1983. J’utiliserai ce chiffre à des fins d’illustration. Nous pouvons calculer la quantité de récolte perdue comme suit (les calculs sont effectués sur toute la récolte potentielle) :
- Nous savons grâce à un événement similaire nommé « L’année sans été » en 1816, que sans ou peu de rayons de soleil, la perte de récolte peut atteindre 30-60 %. Si on prend la moyenne (45%), cela signifie que 9,9 millions de tonnes de céréales sont perdues et qu’il en reste 12,1 millions.
- Nous pouvons également prendre en considération le fait que certaines régions du pays sont jugées impropres à l’exploitation par les autorités en raison des niveaux élevés de radiations et de bombardements lors de l’attaque nucléaire. Cela pourrait représenter 5% de la récolte potentielle (soit 1,1 million de tonnes) laissant 11 millions de tonnes
- L’exode a exercé une forte pression sur les campagnes, pouvant conduire à la destruction de 2,5% de la récolte à venir, soit 0,5 million de tonnes de céréales.
Lorsque la récolte a commencé, cela signifiait donc que la production était limitée à 10,5 millions de tonnes. Mais davantage de nourriture sera perdue dans le processus (les calculs suivants sont désormais séquentiels) :
- On peut en déduire environ 10 % sous forme de graines pour la prochaine récolte (soit 1,05 million de tonnes), il reste donc 9,45 millions de tonnes.
- On peut estimer un taux de détérioration et de perte (mauvaises conditions de stockage et de transport, silos détruits…) à 15 % (soit 1,417 million de tonnes). Le produit de la récolte est encore réduit à 8,03 millions de tonnes
- Les conditions difficiles imposées pour garantir le succès de la récolte s’accompagnent probablement de thésaurisation et de vol, disons 5 % (ou 0,401 million de tonnes) ou 7,629 millions de tonnes restantes.
- Le recours à des personnes inexpérimentées (et épuisées) et à un nombre réduit de véhicules aura un impact sur la qualité et les quantités de ce qui a été récolté, disons 10 % (soit 0,762 million de tonnes). Nous disposons désormais de 6,827 millions de tonnes de céréales disponibles
- Il faut inclure l’impact des ravageurs comme les charançons, les coléoptères et la contamination fongique due aux mauvaises conditions de stockage, à la mauvaise formation des travailleurs, aux conditions climatiques exécrables et au manque de produits chimiques. Cela pourrait représenter 20% (soit 1,373 million de tonnes)
Finalement nous avons 5,454 millions de tonnes, soit moins de 25 % d’une récolte d’avant-guerre. Il s’agit du pire des cas à titre indicatif (le montant aurait pu être bien plus élevé, surtout avec des effets climatiques moindres, mais le film reste silencieux sur le sujet). Il n’en demeure pas moins que tout le système était dépendant des céréales, dont la production était compromise même avec de meilleures conditions climatiques : mécanisation, carburant, transformation… Une occasion manquée de se tourner vers d’autres cultures. Cette récolte fortement diminuée doit encore être transformée et transportée vers les dépôts alimentaires. Mais en raison de l’effondrement progressif de la logistique, des transports et des communications; cela pourrait signifier qu’une partie importante de cette récolte ne sera même pas distribuée. Cette possibilité correspond à la tentative désespérée de Ruth de voler des céréales pour nourrir sa fille. Indépendamment du montant exact collecté ou non, il devait être largement insuffisant pour couvrir les besoins.
Conséquences de l’échec du programme “nourriture-contre-travail”
Pour en comprendre toutes les conséquences, il faut remonter au 10 juin 1984, lorsque les autorités entament la reconstruction. Pour des raisons difficiles à cerner, le film nous explique qu’elles ont lié l’accès à la nourriture au travail forcé, même pour les enfants :
…Tous les citoyens valides – hommes, femmes et enfants – doivent se présenter aux travaux de reconstruction à partir de 8 heures demain matin. Les habitants du Release Band A, c’est-à-dire Dore et Totley, Abbeydale et Woodseats, devraient se donner rendez-vous à Abbeydale Park…
…L’argent n’a plus de sens depuis l’attaque. La seule monnaie viable est la nourriture, donnée en récompense du travail ou retenue en guise de punition. Dans la sombre situation économique qui a suivi, il y a deux dures réalités. Un survivant qui peut travailler reçoit plus de nourriture qu’un autre qui ne le peut pas, et plus il y a de morts, plus il reste de nourriture pour les autres…
Le film laisse à penser que le mécanisme n’était peut-être pas universel. On peut supposer que le minimum vital était fourni aux personnes trop faibles, mais sans garantie réelle en témoigne l’exode des villes. Le film ne répond pas non plus sur comment le système a pu fonctionner en hiver. A Buxton, lorsque Ruth y arrive après avoir quitté Sheffield, il semble y avoir une forme de soupes populaires organisées pour les réfugiés. Un choix qui pourrait s’expliquer par du pragmatisme, si les autorités locales ne pouvaient pas faire autrement. Mais nous avons ensuite une autre scène où Ruth est contrainte de manger un animal mort dans la campagne. L’existence du programme semble toutefois définitivement confirmée par les scènes du film pendant la récolte en 1984 : Ruth obligée de travailler alors qu’elle est enceinte et abandonnée, les gens meurent ou tombent épuisés au sol sans assistance…
Le film étant totalement évasif sur ce choix contre productif au pire moment, voici tout de même une piste de rationalisation (pour être honnête, peut-être la seule solution pour que le film conserve sa crédibilité, tout en étant obligé de modifier son message) : le fait est que la mise en œuvre du programme de « travail-contre-nourriture » a probablement été décidée non pas en raison de contraintes logistiques ou idéologiques, mais parce que les autorités (malheureusement, comme dans de nombreux cas historiques lors de graves perturbations) étaient plus soucieuses de maintenir l’ordre et les gens sous contrôle, et parce qu’elles pensaient que c’était la meilleure solution pour maintenir les systèmes économiques, agricoles et sociétaux d’avant-guerre. Les autorités étaient en fait réticentes à admettre que la meilleure solution était de s’adapter aux réalités de l’après-guerre nucléaire, et non de faire correspondre ces réalités aux attentes d’avant-guerre. Quelque chose d’impossible, car tous les systèmes du passé dépendaient de ressources en cours d’épuisement (comme l’essence) ou d’infrastructures détruites. Le meilleur exemple est l’utilisation de carburant pour maintenir une agriculture hautement mécanisée, alors que les autorités auraient dû aller le plus rapidement possible vers des systèmes plus résilients et plus durables.
Il était bien entendu impossible de mettre de la nourriture dans les magasins pour que les gens puissent l’acheter, mais un système de rationnement « classique » aurait pu être une meilleure solution. Tout le monde reçoit de la nourriture, même en très petites quantités (surtout les plus faibles comme les nouveau-nés, les enfants, les personnes âgées…) et ceux qui travaillent peuvent recevoir un supplément. Le contrat social aurait pu survivre, car avec un système de rationnement, la nourriture sera toujours un moyen de survivre et non une fin. Mais avec l’imposition du travail forcé, le contrat social a disparu. Lorsque quelque chose d’aussi fondamental que la survie est lié au travail forcé, nous ouvrons la porte sur l’inconnu. Le mécanisme introduit par le narrateur s’apparente clairement à un système coercitif et transactionnel. Dans un tel environnement, il n’y a pas de place pour la coopération, car la nouvelle économie consiste à donner davantage de nourriture aux survivants lorsque davantage de personnes meurent. La « richesse » des survivants est désormais liée à la mort de leurs proches. La confiance s’érode et crée inévitablement un antagonisme entre les gens eux-mêmes et entre les gens et les autorités. Ce système peut fonctionner tant que les autorités sont capables de fournir de la nourriture ou d’utiliser des moyens violents, mais lorsque la nourriture vient à manquer, tout s’effondre.
Concernant les plans de contingence possibles du gouvernement britannique discutés dans le livre War Plan UK (évoqué plus haut), et aussi imparfaits soient-ils, ces derniers n’avaient pas sur le papier l’allure de ce que le film introduit lui-même. L’introduction d’une forme de troc pour la rémunération n’est pas un problème en soi, du moment que l’objectif est de maintenir la cohésion sociale et la coopération; même si cela est imparfait. Cela n’a rien à voir avec le fait de considérer la vie humaine comme seulement liée à la capacité productive des individus. Par exemple, un mineur de charbon ou un agriculteur dans les champs ont simplement besoin de manger plus que quelqu’un qui reste à la maison. Tout le monde a droit à quelque chose normalement. Le problème ici est que le film introduit un mécanisme qui transforme le système de distribution alimentaire en quelque chose de totalement transactionnel, non coopératif et punitif. Un système dans lequel, la mort des plus faibles devient un but recherché. Un système qui n’a même pas de loin les allures d’un plan de contingence mal conçu ou appliqué, mais clairement des allures d’un système concentrationnaire. Un système présenté avec un grand détachement par le narrateur et qui s’aligne parfaitement avec les images du film (même si cela n’était peut-être pas totalement conceptualisé par les réalisateurs) : un composant indispensable à la compréhension des événements visibles à l’écran.
Schéma global de la crise institutionnel/alimentaire
La crise aurait pu commencer vers la mi-février 1985, avec l’apparition des premiers événements localisés conduisant à la crise majeure de mars-mai 1985 : les autorités locales auraient probablement été chargées de mettre en œuvre une ration nouvellement réduite pour les « travailleurs » compte tenu de la diminution des récoltes et du peu de stocks alimentaires restants. Les autorités centrales auraient pu être piégées dans ce cadre de « boucle d’effondrement » auto-renforcé :
- Diminution des stocks alimentaires et mauvaise récolte
- Rations diminuées
- Désobéissance/désertion compte tenu de la nature contractuelle (et non coopérative) du programme de « travail-contre-nourriture »
- Manque de travailleurs pour des efforts coordonnés sous la houlette de l’Etat central
- Émergence d’efforts à l’échelle du comté/région, sans l’accord et la surveillance des autorités centrales
- Des tâches cruciales pour le gouvernement central ne sont pas accomplies et des ressources cruciales sont détournées au profit d’acteurs alternatifs
- La récolte est mal gérée, distribuée ou volée/thésaurisée dans certaines régions du pays (en particulier les plus vulnérables)
- Effondrement progressif du système national de distribution alimentaire (programme de « travail-contre-nourriture ») remplacé logiquement par un rationnement alternatif, et surtout une aide alimentaire d’urgence
- Les autorités (militaires et fonctionnaires) sur le terrain sont également impactées, conduisant logiquement à leur prise de contrôles des zones agricoles/industrielles préservées/réhabilitées dès la première année
- Les autorités centrales se « renvoient la balle », mauvaise communication et inertie entre les acteurs institutionnels
- Mise à mal des communications et des transports (manque de carburant, de travailleurs, d’ordres…)
- Le passage progressif d’efforts purement centralisés à des efforts décentralisés dans le cadre des nouvelles décisions des autorités locales (récolte et conservation des semences, systèmes d’aide alimentaire, efforts coordonnés pour la plantation/récolte…)
Un fait important confirme l’intuition quant à cette piste : Ruth vole des céréales brutes avec d’autres personnes. Cela veut dire qu’à priori, ces personnes n’ont plus (ou difficilement) accès à des produits transformés comestibles : logiquement du pain dans notre contexte. Même en ayant subi du retard, la récolte est normalement finie depuis le mois de Décembre 1984. Ces grains devraient normalement connaître deux finalités : graines pour la prochaine récolte et transformation en pain/farine pour nourrir la population. La scène se déroule près de trois mois après la fin théorique de la récolte. Les céréales doivent obligatoirement subir un processus de transformation pour devenir comestible. Le simple fait que la population soit dans l’obligation de se tourner vers ces derniers est une preuve supplémentaire de la désintégration en cours du système de distribution alimentaire.
L’ordre s’est progressivement érodé par la suite, probablement en quelques semaines, parce que les autorités nationales n’ont progressivement plus rien à offrir pour contrôler une population désespérée. Ce qui va probablement se passer dans les coulisses est profondément ancré dans la nature humaine : personne ne veut être tenu responsable de l’échec de la récolte. Même si les récoltes ont été vouées à l’échec dès le début en raison de l’hiver nucléaire, du manque de main d’œuvre, de carburant et de machines. Il ne s’agira pas d’une approche descendante par laquelle les restes du gouvernement britannique rejetteraient la faute sur les autorités locales (ou les RSG restants) qui, à leur tour, rejetteraient la faute sur les militaires chargés d’atteindre les objectifs. Si cela avait dû arriver, je pense plutôt que cela aurait plutôt eu lieu dans le sens inverse les militaires, confrontés « physiquement » à l’échec de la récolte (et à toutes les conséquences) et au besoin d’ordres et de conseils, se seront tournés très probablement vers ce qui reste des autorités locales (ou des RSG restants) qui, à leur tour, vont se référer à ce qui reste du gouvernement britannique. Sans aucune idée sur la marche à suivre, les autorités resteront, au mieux, évasives, ou dans le pire des cas, silencieuses. Et comme la plupart des communications entre ces personnes se font via des systèmes de communication détériorés et non face à face, cela entraînera des malentendus, des incompréhensions et de la méfiance. Cela était déjà un problème majeur dans les semaines et les mois qui ont suivi l’attaque nucléaire parce que les autorités étaient à peine sur le terrain et dépendaient beaucoup d’intermédiaires pour obtenir des informations. Cela s’avérera fatal suite à l’échec de la récolte et à la nécessité d’une réponse rapide et coordonnée pour maintenir l’unité dans ce qui reste à ce moment-là du Royaume-Uni.
Le piège de la logistique
Le lecteur peut se poser la question comme nous : avons-nous manqué quelque chose en nous concentrant pendant un long moment sur une ressource (l’essence) qui semble totalement déconnectée de la crise décrite à l’écran 10 à 12 mois après l’attaque ? Oui et non.
Oui parce que indépendamment des valeurs exacts de barils ou jerricans, ce n’est manifestement pas un facteur décisif dans le film.
Non parce que nous avons suivi le chemin des autorités et surtout de la narration du film : nous avons suivi le chemin classique d’un gouvernement dans cette situation faisant attention à ses ressources mais en omettant, comme le film sans s’en rendre compte lui-même et à son insu, de prendre en compte un facteur essentiel : le besoin de maintenir une cohésion nationale et la coopération. La logistique reste un facteur crucial pour comprendre certaines choses à l’écran bien sûr. Mais la cohésion sociale encore plus.
Toutefois, notons que le film est dans le déni des réalités de gouvernance pourtant évidentes à l’écran lors de la première année. Le film veut faire passer un message d’impuissance totale qui n’est pas compatible avec les éléments visibles à l’écran : moissonneuse-batteuse, avion passant au-dessus des colonnes de réfugiés, hélicoptère depuis lequel un soldat tire sur Ruth…. Souvenez-vous de la fameuse scène du soldat dans la grange qui apporte un jerrican pour remplir un tracteur : cela ne peut pas exister sans une structure organisationnelle et logistique dans un mode réaliste. Ce soldat ne se balade pas à pied avec un jerrican depuis Exeter jusqu’à la région de Sheffield. Le film est dans le déni, pourtant : ce soldat, dans un contexte réaliste, possède probablement un camion avec des jerricans, une carte et un listing de fermes où déposer son carburant; et il lui est demandé d’effectuer des tournées régulières (ce qui est sans doute encore plus vrai dans le contexte de la récolte montrée à l’écran). Que cela soit coordonné au niveau national, régional ou encore d’un comté.
Notre exercice sur l’essence est intéressant à ce titre parce qu’il nous permet de conceptualiser l’univers logistique et organisationnel (avec notamment les choix discutés sur l’allocation de l’essence) nécessaire à l’existence de la première année à l’écran. Peu importe que les chiffres soient véridiques (500, 250 ou 50 générateurs, 40 000, 10 000 ou 5 000 véhicules agricoles, 50 000, 25 000 même 2 500 véhicules de transports, 40 000 ou même 15 000 barils par jour…) : si il n’y avait pas ça (essence, organisation, coopération…), plus rien ne serait fonctionnel depuis longtemps déjà à l’écran.
Et lorsque l’on sait cela : on ne peut être que plus sceptique face au programme de rationnement mis en œuvre dans le film.
Pour revenir au sujet principal, le mécanisme de rationnement, le film présente cela comme une formalité, pourtant le mécanisme inverse totalement le narratif du film. Le système est si cynique et pervers que peu importe la catastrophe : une rupture brutale est attendue. Le film, sans s’en rendre compte et contre son gré, vient de passer du message “les bombes vont créer des situations inévitables” à “les décisions humaines sont les seules choses qui comptent finalement”.
Si nous n’avions pas eu ce mécanisme de rationnement introduit par le film, nous aurions toujours le même problème. Ces grains ne sont toujours pas transformés depuis des mois. Le phénomène climatique ne suffit pas seul à expliquer la situation dans la mesure où les chiffres démographiques du film (jusqu’à 38 millions de morts quatre mois après l’attaque) devraient normalement aboutir à un nouvel équilibre des ressources : moins de céréales, essence… mais aussi moins de personnes. Manifestement, ce n’est ni le cas ni le sujet à l’écran.
Nous avons peut-être un peu piégé le lecteur, mais au final nous avons simplement suivi la narration tranquille du film qui a créé le mécanisme garantissant l’effondrement, avec un détachement incroyable. Que faisons-nous maintenant ?
Nous articulons cet élément anodin pour les réalisateurs, et qui vient se glisser entre la scène où Ruth vole des grains et les bombes atomiques. Les bombes ne sont plus la seule explication, les choix humains prennent les devants. Au détriment du message du film. Mais dans un esprit aussi de parfaite logique : ce que nous voyons à l’écran en ce mois de Mars 1985 n’a rien à voir avec les radiations, l’hiver nucléaire ou les bombes. La situation est plus grave que ça (des grains sont stockés potentiellement depuis des mois sans être mis en terre ou ne sont toujours pas transformé en farine), et le film n’offrant pas de mécanisme explicatif, nous ne pouvons qu’en déduire que ce qui se passe est en lien avec une diminution de la récolte (effet possible de l’hiver nucléaire), qui a elle-même fragilisé l’édifice institué par le film consistant à créer une relation transactionnelle autour de la nourriture.
Nous aurions fait preuve de la même rigueur avec un passage problématique de la Bible Hébraïque. L’exploitation de cette lacune narrative avec Threads n’est que le résultat d’une trame narrative problématique : les réalisateurs donnent l’impression d’avoir construit un univers complètement fragmentaire où chaque scène vit isolée des autres. Le film cherche à faire avancer l’histoire avec des scènes déconnectées les unes des autres, tout en refusant (sciemment ou pas) de prendre en compte les éléments introduits plus tôt. Le contraire d’une mise en scène réaliste. Malheureusement ce qui est arrivé est la chose suivante :
- La scène avec Ruth et les grains est particulièrement ambiguë mais ne laisse pas de doutes sur le problème en cours : le système de distribution alimentaire est en déshérence et la récolte n’est pas traitée correctement
- Le film n’offre aucune explication à cette scène (ni de la part du personnage ni de la part du narrateur)
- Une exploration est faîte en arrière pour chercher une cause : pourquoi Ruth doit-elle voler des grains, un produit quasiment impossible à transformer soi-même pour le consommer ? Donc un acte totalement désespéré
On trouve :
- D’abord la récolte probablement désastreuse du fait de l’hiver nucléaire (donc probablement diminuée)
- Puis le mécanisme de rationnement introduit plus tôt par le film : un système totalement inique, contractuel, destructeur de la coopération et totalement dépendant structurellement d’un approvisionnement correct en denrées alimentaire
- L’assemblage des deux mécanismes (système de rationnement et récolte diminuée) ne peut aboutir qu’à cette analyse : les autorités viennent de perdre le contrôle de la situation, leur système basé une relation contractuelle avec de la nourriture est probablement devenu totalement ingérable, les conséquences sont en train de s’étendre à tout le système de distribution alimentaire
Pour conclure sur ce point, nous rappelons à nouveau que notre travail n’est pas idéologique. Le film prétend être réaliste, il bénéficie d’une validation scientifique, académique et médiatique. L’exigence de cohérence narrative est donc le minimum pour un film qui prétend à ces qualités. Et la cohérence narrative transforme le message du film. Mais reprenons le fil de l’histoire.
L’ampleur de la crise institutionnelle
Les soldats (contrairement aux civils), qui étaient autrefois préservés en raison de leur statut et de leur importance dans le Royaume-Uni d’après-guerre nucléaire, commenceront également à sentir les effets de l’échec de la récolte et il n’est pas impossible que certains d’entre eux meurent rapidement de faim du fait de la désintégration du système de distribution alimentaire. Ils souffriront probablement d’épuisement, de stress et, un an après l’attaque nucléaire, nombre d’entre eux seront peut-être morts eux aussi. Le problème ? Les soldats sont très probablement les seules personnes à être vraiment sur le terrain au contact des civils. Ils pouvaient être la solution à la crise : ils risquent de devenir le problème. Ces soldats subissent un stress massif depuis près d’un an. Ils sont probablement pour beaucoup sans nouvelles de leurs proches. Ils ont dû implémenter – possiblement contre leur conscience pour certains – un programme politique inique. Le moral et la discipline sont au plus bas pour de nombreux d’entre eux. La situation générale ne peut que servir de détonateur.
On peut imaginer que pendant une courte période, les militaires tentent à tout prix de maintenir l’ordre et de garder la main sur la situation, parce que c’est ce qu’on attend des soldats, mais aussi parce que leur statut dans le Royaume-Uni d’après-guerre est lié aux circonstances. Mais tout va bientôt s’effondrer autour d’eux à mesure que le gouvernement et les fonctionnaires des RSG meurent progressivement (si ce n’est pas déjà le cas), disparaissent, désertent et cessent finalement complètement d’émettre des instructions comme cela est décrit dans le film Threads.
Avec l’effondrement de toute forme de commandement centralisé et la dissolution du Royaume-Uni en tant que pays uni (ce qui signifie pour de nombreux soldats que même le « bien supérieur » pour lequel ils se sont sacrifiés a disparu et donc le sens de leur vie), il est probable que certaines unités commencent à se débrouiller seules, se dissolvent, fusionnent avec la population locale (comme certains fonctionnaires) pour organiser des efforts localisés mais coordonnées, et surtout vitaux, dans le cadre de la grave crise agricole et alimentaire à l’écran.
Garantir la continuité étatique, sociétale et agricole
Il apparaît comme un pré-requis logique qu’une large fraction de ces militaires/fonctionnaires ait fusionné rapidement avec la population locale pour organiser des efforts localisés mais coordonnées, et surtout vitaux, dans le cadre de la grave crise agricole et alimentaire à l’écran. Le pré-requis hautement probable et logique pour avoir 4 à 10 million de survivants dix ans plus tard selon les chiffres du film, du fait d’un besoin de coordination au-delà du simple village et d’une agriculture qui ne soit pas du type subsistance primitive pour un tel chiffre. Ce qui requiert donc : coordination dès Mars-Mai 1985 sur de larges aires géographiques entre acteurs institutionnels/militaires/survivants/agriculteurs, préservation des semences et du bétail (vital pour le labour), transmission et préservation du savoir… Un effort collectif monumental compte tenu du contexte à l’écran. Sans des efforts coordonnées par des acteurs compétents au pire moment, sur de larges aires géographiques, il serait peu probable d’avoir des survivants; sans parler d’infrastructures techniques ou d’extraction du charbon.
Pour offrir quelques lueurs d’espoir au lecteur, nous pouvons également imaginer qu’une partie des forces militaires restantes ait tenté de créer et de maintenir un « État-fragmentaire » (en anglais, le terme exact est « rump state » ou « état-croupion » en français, mais j’ai choisi une forme alternative pour exprimer cette réalité) du Royaume-Uni quelque part à l’intérieur du pays (comme le royaume de Soissons après la chute de l’Empire romain d’Occident). Cela pourrait être l’endroit le plus logique pour organiser le retour de l’électricité, une école et un hôpital, comme on le voit 13 ans après l’attaque nucléaire à la fin du film; car toutes ces choses nécessitent un certain niveau d’organisation et d’ordre. La logique voudrait qu’il y en ait plusieurs d’ailleurs, au croisement des zones agricoles prioritaires l’année précédente et des anciens hubs industriels/miniers du Royaume-Uni.
La dissolution de l’Etat centralisé semble actée pour plusieurs raisons dans les mois qui suivent cet épisode. Tout d’abord, Ruth est vue ensuite acheter des rats dans la rue (un intertitre parle d’un an après l’attaque) ce qui signifie que la crise est probablement en pleine aggravation voire totale dans certaines régions du pays. Le pays ayant fait le choix d’un programme de rationnement contre-productif, la perte de cette capacité semble compromettre de façon irrémédiable la place des institutions traditionnelles. Le film ne donne plus à entendre la moindre émission du gouvernement, après le dernier message avant la récolte de Septembre-Décembre 1984. La dernière scène avant le saut narratif du film de près d’une décennie montre quelque choses d’extrêmement intéressant : les gens travaillent avec des outils, voire des lunettes de protection pour certains mais pas de tracteur. Pas de militaires en vue non plus. Quand on repense à la scène des récoltes en 1984, c’est un autre monde : des gens mourant dans les champs, travaillant à mains nues et avec quelques véhicules et sous surveillance militaire. Manifestement, l’effort semble bien plus coordonné, productif, paisible (même si les personnes semblent épuiser) et surtout volontaire. Un autre monde semble émerger. Le monde dix ans plus tard ne montre pas de coordination nationale, malgré la présence de soldats. Cela ressemble plus à un effort coordonné au niveau d’un comté ou d’une région éventuellement, quelque chose de peut-être plus résilient, coordonné et peut-être même un peu plus humain (avec la fameuse scène de l’école notamment).
On peut imaginer une utilisation de 10 000 barils par jour de manière inégale durant ces 58 jours soit 0,58 million de barils. La période Mars-Mai au Royaume-Uni étant cruciale pour l’agriculture, un effort sera organisé même si difficile du fait du contexte.
En dépit de ces scènes chaotiques un an après l’attaque, le film affiche une démographie ambitieuse une décennie plus tard : un minimum de 4 millions d’habitants et jusqu’à 11 millions d’habitants maximum. Des chiffres discutés plus longuement dans mon essai suivant, mais qui impliquent la réalisation de nombreuses choses au cours de la première année, comme illustré par ce diagramme simplifié :

Il nous faut aussi imaginer comment une gouvernance à pu émerger entre l’effondrement progressif de l’État centralisé et l’émergence de nouvelles structures. En voici un schéma également.

L’ampleur
Il serait difficile d’aller à l’opposé des scènes du film : c’est une famine, potentiellement “terminale” dans certaines régions probablement. Je dis en toute transparence ce qui peut arriver dans un tel cas de cette façon dans l’essai suivant : “Avec l’effondrement du système de distribution alimentaire, les gens n’ont plus beaucoup d’options pour survivre. Ce qui était probablement disponible depuis un certain temps dans certaines régions était du pain « à la sciure » (ou un mélange de farine et de sciure) pour éviter de consommer trop de céréales; si un système de distribution subsistait malgré le chaos. […] Pour survivre, de nombreuses personnes dans certaines régions ont probablement eu recours à la consommation de rats, de chiens, de chats et de chevaux; si il y en avait encore. Dans certaines régions, le bétail a pu subir de lourdes pertes. Ils allaient également devoir manger de l’herbe et des glands comme Ruth si la nourriture était insuffisante. Ils auraient également pu manger des champignons, des prunelles et d’autres plantes. Certains d’entre eux ont probablement essayé de produire du « pain d’écorce » à partir de l’écorce interne. La famine terminale, combinée à l’effondrement de la gouvernance centralisée, a été brutale car le processus lui-même était probablement extrêmement inégal à travers le pays et entre les communautés. Concernant le cannibalisme, et contrairement à une idée reçue, c’est quelque chose d’extrêmement rare même dans les pires famines enregistrées; fait généralement par des groupes ou des individus extrêmement isolés et sans autres moyens. […]”.
La question est plutôt de savoir si le phénomène est généralisé à tout le Royaume-Uni ou seulement certaines régions spécifiques. Un impact généralisé rend difficile l’organisation et la réussite de la récolte de l’été 1985. Le compromis logique est d’accepter les scènes (elle sont logiques vue les effets de l’hiver nucléaire), la réalité de l’effondrement du système de distribution alimentaire centralisé mais en apportant une nuance entre zones urbaines détruites (majoritairement impactées) et zones rurales relativement épargnées (une nécessité pour garantir le succès de la récolte). Voici une proposition de carte :

La logique suivante est proposée :
- Le risque est maximum (en rouge) pour Londres, les grandes conurbations/villes du Nord-Est autour de Liverpool, les villes portuaires du Sud-Ouest à l’écart des zones céréalières majeures et l’Irlande du Nord (peu de cultures céréalières)
- Le risque est considéré comme modéré (en bleu) pour toutes les villes/agglomérations de tailles plus faibles ou à proximité des zones céréalières/agricoles majeures
- Le risque est considéré comme faible (en vert) pour toutes les villes situées dans ou à proximité immédiate des zones agricoles agricoles majeures, souvent de petites tailles dans le Kent et la région de l’Est de l’Angleterre
Points clés de la période :
- Crise institutionnelle majeure : échec du nouveau contrat social, désintégration presque inévitable de la structure étatique classique
- Devenir incertain d’une fraction des forces militaires (merger ? warlordism ?)
- Relais gouvernemental nécessaire qui peut être logiquement assuré par les hubs agricoles/industriels/miniers où se concentrent les acteurs institutionnels, les militaires, les compétences techniques/agricoles et les survivants (“états-résiduels”)
- Maintien de la coordination nationale par nécessité pratique (impossibilité d’avoir des régions totalement indépendantes) en vue de la récolte de l’été 1985, possiblement facilité par la résilience institutionnelle (transformation de l’état central par des structures nouvelles dirigées par d’anciens membres de cette institution, facilitant communication/coopération/organisation)
- Reprise pétrolière en arrière plan pour coïncider avec la récolte de l’été 1985
- Poursuite des efforts de l’année précédente et obligation de flux logistiques entre les régions malgré la potentielle crise institutionnelle à l’écran
« Finir l’année 1985 ? » de 27 mai 1985 au 31 décembre 1985
Comment les survivants ont-ils pu finir l’année 1985 et dans l’hypothèse où il reste jusqu’à 11 millions de survivants 10 ans plus tard ? Il nous reste 700 000 barils de notre précédent stock national. Pour finir l’année, cela veut dire qu’il nous reste un peu plus de 3 000 barils par jour. Comme il s’agissait d’un stock virtuel pour cet essai, et que le film ne le mentionne jamais; il est tout à fait logique qu’il puisse être plus élevé. Une récolte mécanisée nous semble obligatoire pour finir cette année, en parallèle de la mise en œuvre de nouvelles méthodes agricoles (traction animale, labour manuel…). Plusieurs solutions semblent s’imposer :
- Un rationnement strict dans les régions agricoles pour conserver l’essence en vue des moissons majeures de céréales entre juin et août
- Du travail manuel (ou traction animale) pour préparer les champs à la fin de l’année
- Un redémarrage de la production pétrolière au début probablement de l’année 1985, même à faible volume
- La réintroduction dès 1985 de véhicules agricoles anciens à charbons
Pour l’année 1984, il était important de déployer de nombreux véhicules agricoles du fait du retard prix sur la récolte et des contraintes pesant possiblement sur les terres agricoles. L’idée ici est d’avoir un lissage pour finir l’année, tout en ayant recours au travail manuel de façon conséquente. L’idée serait donc de mobiliser des véhicules en limitant au maximum leur usage. On peut donc prendre pour référence le chiffre utilisé pour les véhicules non agricoles (soit 0,306 barils/jours). 700 000 barils divisés par 218 jours, cela donne 3200 barils. Ce volume représente potentiellement 10 500 véhicules. Si possible, des véhicules au charbon seront mobilisés là où ils sont disponibles. La transition logique est donc :
- Rétablissement de la traction animale et travail manuel (“hoe-farming”) en oeuvre dès le début de l’année 1985 voir avant pour économiser du carburant là où c’est possible
- Utilisation limitée de l’essence après Mai 1985 avec pic entre Juin-Août 1985 pour la récolte céréalière
- Montée en puissance progressive de la traction animale et travail manuel (“hoe-farming”) au courant de l’année 1985; l’idée étant que la traction animale devient dominante au cours des années à venir
- Re-développement vital de l’essence pour assurer la mécanisation des grands récoltes ou travaux agricoles majeurs dès 1986
Pour rappel, les chiffres de l’essai étaient volontairement élevés pour factoriser dans des contraintes lourdes, il est évident qu’autant d’essence n’est pas utilisé par jour par chaque véhicule même dans des conditions difficiles. Mais l’objectif est de rester logique dans la trame développée précédemment. Partant de ce chiffre, il serait logique d’attendre courant 1986 une production pétrolière d’un montant de 3000 barils par jour : Wytch Farm et Mer du Nord très partiellement. Pas forcément utilisés comme tels, mais à minima rationnés pour les récoltes/travaux aux champs et logistique minimale entre comtés/régions.
Une gouvernance doit se mettre en place comme évoqué plus haut : il faut coordonner les populations, organiser une récolte, travailler ensemble, gérer également les difficultés alimentaires dans de nombreuses régions… Le schéma doit logiquement émerger dans les régions à l’intersection des hubs industriels/miniers et des régions agricoles : production alimentaire et maintien/relance des industries vitales pour la décennie à venir. Il n’est donc pas illogique de penser que le schéma n’est pas linéaire, ni instantané. La fin de la gouvernance centralisée en échec n’est pas le signe de la fin de la coopération entre les individus, notamment les anciens acteurs intégrés aux institutions étatiques, et ce à différentes échelles. Comme évoqué avec le schéma plus haut, ce processus est logiquement en cours avec fusion des populations urbaines/rurales, et figures d’autorités avec ces mêmes populations; et ce depuis au moins une année. Il en est de même pour le succès de la récolte : la population doit déjà travailler dans le monde agricole depuis plusieurs mois.
Il va également y avoir besoin d’une possible coordination nationale, en tenant compte du risque de fragmentation du territoire national britannique. Ce qui semble le plus juste (et logique) est d’avoir l’organisation suivante :
- Le maintien des spécificités agricoles locales (quelque chose de difficilement modifiable du fait de la spécialisation du paysage agricole à l’époque)
- Une ou plusieurs zones ayant des capacités agricoles combinées supérieures aux autres régions, et ayant donc la légitimité à coordonner la récolte au niveau national

Le schéma suivant est proposé avec la désignation de la région du Sud du Pays de Galles aux Midlands comme région motrice. Cela semble logique dans la mesure où cet ensemble géographique concentre potentiellement (en plus de sa position centrale) : la majeure partie des infrastructures industrielles et minières restantes, était historiquement la plus peuplée et possède l’ensemble agricole d’avant-guerre le plus critique (notamment l’Est céréalier) et une diversité agricole conséquente (élevage, légumes, fruits…).
Pour conclure, voici la courbe énergétique requise avec relance de l’essence aux alentours de 3000 barils jours au cours du printemps 1985 avec double comparaison : barils disponibles avec production et sans production. Le crash est inévitable sans production, surtout si les difficultés logistiques sont plus importantes. Par conséquent, la reprise d’une production avec augmentation progressive au cours de la décennie est la voie logique.

Une courbe alternative à la consommation de la première année est également proposée avec les paramètres suivants :
- Passage de 40 000 à 30 000 barils/jour pour la récolte en Septembre-Décembre 1984
- Redémarrage de la production pétrolière en Mars 1985 avec progression de 3000 à 5000 barils/jours à la fin de l’année 1985
- Augmentation du volume d’essence consommé (autour de 20 000 barils/jour) pour la saison agricole Juin-Octobre 1985

Points clés de la période :
- Sauvetage obligatoire de la récolte de l’été 1985 avec maintien de la mécanisation dans les régions céréalières et coordination suprarégionale en dépit du contexte institutionnel : garanti de nourriture pour passer l’hiver, remotiver les survivants et légitimer les nouvelles formes d’autorité
- Transition vers de nouvelles formes de gouvernance entre coopération suprarégionale (période des récoltes, flux énergétiques et alimentaires) et autonomie partielle sur le plan régional
- Maintien de la mécanisation à minima pour les céréales et mise en route de techniques manuelles lorsque cela est possible (par exemple, “hoe-farming” pour la culture des pommes de terre)
Epilogue
L’absurdité des raisonnements de Duncan Campbell est parfaitement illustrée par cette première année dans le film Threads. Celui qui semble penser que prendre des décisions collectives, même difficiles, en temps de crise est l’expression d’un désordre mental voir d’un totalitarisme dystopique, que la cohésion sociale est secondaire en temps de crise, qu’il faut accepter l’inévitable est brutalement démenti par le film considéré comme le plus réaliste sur le sujet. Les thèses développées dans son livre – la futilité des efforts d’organisation, de cohésion et de gouvernance – sont contredites de façon criante par les mauvais choix du gouvernement fictionnel. Ces mauvais choix démontrent plus que jamais la pertinence des bons choix et des décisions collectives. Une ironie féroce quand on sait que le film a probablement puisé dans son ouvrage War Plan UK la plus grande matière intellectuelle nécessaire pour son scénario.
Le Royaume-Uni est dans une situation plus que dramatique fin Mai 1985 : aucun signe d’amélioration du système de distribution alimentaire, pas de chemins tracés pour de nouvelles formes gouvernances à l’écran et un pays totalement détruit (villes comme infrastructures). Mais la scène avant le saut narratif, avec ces hommes et femmes qui tracent, de façon coordonnée et volontaire à la houe des sillons dans le sol, montre que quelque chose est en cours. La reconstruction hypothétique des dix années amenant aux scènes finales du film sera à nouveau l’occasion de démontrer que le complotisme, le nihilisme et le cynisme de Duncan Campbell (et du film par extension, puisqu’il a également puisé dans le même livre les éléments nécessaires à la trame de son récit) sont des impasses : tout ce que le film et Duncan Campbell rejettent au plus profond d’eux-mêmes aura finalement été nécessaire pour voir enfin le bout du tunnel, et permettre l’existence des dernières scènes du film.
Avec un peu d’humour, nous pouvons résumer sous la forme d’un tableau les explications qui existent sur ce qui a pu arriver lors de la première année dans ce film :
| Prisme | Raisonnement | Validité du raisonnement |
| Threads | JOKER | ❌️ |
| Intellectuels | Le film est réaliste donc il réaliste | ❌️ |
| 😵💫 | Les scènes avec Ruth impliquent simplement qu’il y a moins à manger | ❌️ |
| Fanbase | Pas de soleil = Pas de nourriture | ❌️ |
| Méthode exégétique | Articulation d’une scène isolée et ambigüe avec un phénomène climatique et des choix de gouvernance montrés dans le film | ✅️ |
Le chapitre suivant est disponible ici : Royaume-Uni 1985-1994 : expliquer le saut narratif dans Threads (1984)
Sources
Hiver nucléaire :
- Tambora and the “Year without summer” : par l’Université de Bern sur les effets d’un événement climatique sévère
Cas Biélorusse :
- BELARUS: COUNTRY REPORT TO THE FAO INTERNATIONAL TECHNICAL CONFERENCE ON PLANT GENETIC RESOURCE : par l’Institut de recherche sur l’agriculture et les fourrages (Biélorussie), 1996
- Impact of the Chernobyl accident on agriculture : par l’IRS (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire)
Pour les cartes minières du Royaume-Uni :
- Et Margaret Thatcher brisa les syndicats : le Monde Diplomatique (2010)
- Homes to be heated by warm water from flooded mines : BBC (2020)
- Northern Mine Research Society
Pour les cartes agricoles du Royaume-Uni (blé, pommes de terre…) :
- Agriculture and Horticulture Development Board
- U.S. Department of Agriculture – Foreign Agricultural Service
- POTATO PRO
- Revision World (Distribution of farming types in the UK)
Pour les conversion (barils en litres) :
- UnitConverters

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